
c'est pour ça qu'elles étaient bonnes !
Ma femme a acheté des cerises au marché.
Elles sont rouges dans un bol blanc.
Elles sont sucrées mais je les boude.
Je repousse la porcelaine blanche.
Je suis resté seul à table.
Je suis souvent le dernier, je ferme les yeux.
Cela devait être en 1979.
J'avais griffé ma cuisse à une branche et je saignais un peu.
J'avais écorché mon short et méritais alors une bonne engueulade.
J'avais failli par trois fois, tomber sur le plancher des vaches avec une cassure de la jambe ou simplement un "embousement" en règle.
J'avais mené bataille avec cinquante guêpes et dix frelons mais avec eux, je partageais mon butin.
Mon panier était percé et je perdais quelque trésor.
Le soleil faisait rougir ma peau blanche.
Peau rouge donc comme ces fruits succulents que je cueillais en grappe.
D'une main, je m'agrippais aux branches ou aux barreaux de l'échelle et de l'autre avec mes petits doigts agiles et mes yeux de vautour, je saisissais ces gentilles cerises.
La bouche pleine de fructose, je crachais les noyaux.
J'avais pour mission de ramener trois paniers de ces bigarreaux pour le dessert de notre maisonnée et de celle des voisins.
D'un oeil distrait, j'apercevais ma tante qui désherbait son jardin et d'un autre découvreur, je fixais la traînée blanche laissée par un avion de ligne.
Je sentais de mes deux narines d'enfant libre, la douce odeur des foins du champ d'à côté.
L'hirondelle semblait inquiète de voir un humain prendre de l'altitude.
Tant que les vaches paissaient, l'après-midi semblait interminable.
Mon ventre gargouillait, il devait être cinq heures, le troisième panier débordait et je m'étais permis la fantaisie de deux belles boucles d'oreilles.
Manger des cerises était une aventure; mon corps où est sertie ma mémoire se souvient de toutes ces images gustatives.
Oui certainement, c'est pour ça qu'elles étaient bonnes !
Mich'el
Ecrit ce jour