Pape François : l’Europe et le peuplier
ELISABETH DE BAUDOÜIN
26.11.2014
L’image du peuplier, empruntée par le pape François à un poète italien du XXesiècle, restera comme l’une des icônes de son passage à Strasbourg, le 25 novembre. Non pas que le Pape du nouveau monde ait donné pour emblème au vieux continent cet arbre des régions tempérées et froides de l’hémisphère nord, « avec ses branches élevées vers le ciel et agitées par le vent, son tronc solide et ferme, ainsi que ses racines profondes qui s’enfoncent dans la terre ». Mais il a appelé les citoyens européens à « penser l’Europe à la lumière de cette image ». Une triple image, calquée sur les trois temps – passé, présent et futur – auxquels le pape argentin a conjugué l’Europe (cf. ce qu’il a écrit sur le livre d’or du Parlement européen). Le Pasteur de l’Église universelle s’en est servi pour rendre l’espérance à une Europe découragée et fatiguée.
Elles ont la part belle dans les deux discours de François. C’est un peu la surprise, de la part du « pape social » de Lampedusa et des favelas de Buenos Aires, que l'on attendait surtout sur le travail, la crise économique, la pauvreté et l’immigration. François n’a pas eu peur de le rappeler : si les racines de l’Europe ne sont pas seulement chrétiennes – il faut leur ajouter les sources de la Grèce et de Rome, les fonds celtes, germaniques et slaves – une histoire bimillénaire lie l’Europe et le christianisme, et celui-ci a « profondément pétri la pensée européenne » (cf. son discours au Parlement). Le Pape l’a rappelé aussi : c’est au christianisme que l’on doit la conception occidentale de l’homme : celle de personne, dotée de dignité et de transcendance, qui a des droits mais aussi des devoirs, et qui ne peut se comprendre qu’en relation avec les autres (le« nous-tous » du discours au Parlement).
Or, a-t-il expliqué – et c’est là où resurgit l’image de l’arbre – « si les racines se perdent, lentement, le tronc se vide et meurt et les branches, autrefois vigoureuses et droites, se plient vers la terre et tombent ». On l’a compris, et d’ailleurs le Pape a mis plusieurs fois les points sur les i : pour vivre son présent et marcher vers l’avenir, l’Europe doit s’appuyer sur son passé. « Il faut le maintenir vivant par l’exercice quotidien de la mémoire. »
C’est son patrimoine. Son « immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux », a tenu à souligner François. L’Europe est une grande mère un peu fatiguée et pessimiste, a-t-il regretté, mais elle est riche ! Riche d’un héritage accumulé au fil des siècles, « grâce à l’action généreuse d’hommes et de femmes – dont certains sont considérés comme saints par l’Église – qui se sont dépensés pour développer le continent », dans tous les domaines (face aux députés européens, François a parlé de « la beauté de nos villes et plus encore de celles des multiples œuvres de charité et d’édification commune qui parsèment le continent »).
Le tronc droit et solide comme celui du peuplier que ces hommes nous ont laissé est un gage d’espérance pour la vieille Europe, lit-on entre les lignes. Que vont faire les héritiers de ce patrimoine, s’est demandé le Pape ? En rejeter la partie chrétienne, comme danger pour la laïcité ou pour l’indépendance des institutions ? Le considérer comme « un simple héritage de musée du passé » ? Ou bien s’en servir pour « inspirer la culture et ouvrir ses trésors à l’humanité entière » ? À la première question, François a répondu : « Une Europe capable de mettre à profit son [patrimoine religieux] peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui ».
Dans le contexte actuel, cette réponse est à prendre au sérieux. Quant aux deux autres questions, elles sont ouvertes.
Ces branches d’un présent incertain et d’un avenir obscurci par la crise et les conflits, qui ont besoin de sève pour ne pas « plier vers la terre et tomber ». Quelle est cette sève vitale dont l’Europe a besoin, pour « vivre le présent dans l’espérance et regarder le futur avec confiance » ? La sève du peuplier européen, c’est son âme, a expliqué le Pasteur de l’Église universelle. Une« bonne âme », mélange d’« humanisme centré sur le respect et la dignité de la personne », qu’elle a su exporter hors de ses frontières, de « tension vers un idéal qui l’a rendue grande », d’« esprit d’entreprise et de curiosité », de « soif de vérité », cette « sève vitale », que l’Europe a su « communiquer au monde avec passion ». Citant un auteur anonyme du IIe siècle, le Pape a osé affirmer, face à des parlementaires de toutes tendances, que l’âme de cette âme, c’est le christianisme : « Les chrétiens représentent dans le monde ce qu’est l’âme dans le corps. Et le rôle de l’âme, c’est de soutenir le corps ». Il n’a pas eu peur non plus de les exhorter à « travailler pour que l’Europe retrouve sa bonne âme ». Et si là résidait la clef du présent et de l’avenir du continent européen ?
http://www.aleteia.org/fr/international/article/analyse-pape-francois-leurope-et-le-peuplier-5830851652747264?page=2
Des racines, un tronc, des branches… À Strasbourg, le Pape a utilisé l’image de l’arbre pour réveiller le vieux continent européen. Analyse.
ELISABETH DE BAUDOÜIN
26.11.2014
AP Photo/Patrick Hertzog
L’image du peuplier, empruntée par le pape François à un poète italien du XXesiècle, restera comme l’une des icônes de son passage à Strasbourg, le 25 novembre. Non pas que le Pape du nouveau monde ait donné pour emblème au vieux continent cet arbre des régions tempérées et froides de l’hémisphère nord, « avec ses branches élevées vers le ciel et agitées par le vent, son tronc solide et ferme, ainsi que ses racines profondes qui s’enfoncent dans la terre ». Mais il a appelé les citoyens européens à « penser l’Europe à la lumière de cette image ». Une triple image, calquée sur les trois temps – passé, présent et futur – auxquels le pape argentin a conjugué l’Europe (cf. ce qu’il a écrit sur le livre d’or du Parlement européen). Le Pasteur de l’Église universelle s’en est servi pour rendre l’espérance à une Europe découragée et fatiguée.
Les racines de l’Europe
Elles ont la part belle dans les deux discours de François. C’est un peu la surprise, de la part du « pape social » de Lampedusa et des favelas de Buenos Aires, que l'on attendait surtout sur le travail, la crise économique, la pauvreté et l’immigration. François n’a pas eu peur de le rappeler : si les racines de l’Europe ne sont pas seulement chrétiennes – il faut leur ajouter les sources de la Grèce et de Rome, les fonds celtes, germaniques et slaves – une histoire bimillénaire lie l’Europe et le christianisme, et celui-ci a « profondément pétri la pensée européenne » (cf. son discours au Parlement). Le Pape l’a rappelé aussi : c’est au christianisme que l’on doit la conception occidentale de l’homme : celle de personne, dotée de dignité et de transcendance, qui a des droits mais aussi des devoirs, et qui ne peut se comprendre qu’en relation avec les autres (le« nous-tous » du discours au Parlement).
Or, a-t-il expliqué – et c’est là où resurgit l’image de l’arbre – « si les racines se perdent, lentement, le tronc se vide et meurt et les branches, autrefois vigoureuses et droites, se plient vers la terre et tombent ». On l’a compris, et d’ailleurs le Pape a mis plusieurs fois les points sur les i : pour vivre son présent et marcher vers l’avenir, l’Europe doit s’appuyer sur son passé. « Il faut le maintenir vivant par l’exercice quotidien de la mémoire. »
Le tronc du vieux continent
C’est son patrimoine. Son « immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux », a tenu à souligner François. L’Europe est une grande mère un peu fatiguée et pessimiste, a-t-il regretté, mais elle est riche ! Riche d’un héritage accumulé au fil des siècles, « grâce à l’action généreuse d’hommes et de femmes – dont certains sont considérés comme saints par l’Église – qui se sont dépensés pour développer le continent », dans tous les domaines (face aux députés européens, François a parlé de « la beauté de nos villes et plus encore de celles des multiples œuvres de charité et d’édification commune qui parsèment le continent »).
Le tronc droit et solide comme celui du peuplier que ces hommes nous ont laissé est un gage d’espérance pour la vieille Europe, lit-on entre les lignes. Que vont faire les héritiers de ce patrimoine, s’est demandé le Pape ? En rejeter la partie chrétienne, comme danger pour la laïcité ou pour l’indépendance des institutions ? Le considérer comme « un simple héritage de musée du passé » ? Ou bien s’en servir pour « inspirer la culture et ouvrir ses trésors à l’humanité entière » ? À la première question, François a répondu : « Une Europe capable de mettre à profit son [patrimoine religieux] peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui ».
Dans le contexte actuel, cette réponse est à prendre au sérieux. Quant aux deux autres questions, elles sont ouvertes.
Restent les branches élevées vers le ciel et agitées par le vent
Ces branches d’un présent incertain et d’un avenir obscurci par la crise et les conflits, qui ont besoin de sève pour ne pas « plier vers la terre et tomber ». Quelle est cette sève vitale dont l’Europe a besoin, pour « vivre le présent dans l’espérance et regarder le futur avec confiance » ? La sève du peuplier européen, c’est son âme, a expliqué le Pasteur de l’Église universelle. Une« bonne âme », mélange d’« humanisme centré sur le respect et la dignité de la personne », qu’elle a su exporter hors de ses frontières, de « tension vers un idéal qui l’a rendue grande », d’« esprit d’entreprise et de curiosité », de « soif de vérité », cette « sève vitale », que l’Europe a su « communiquer au monde avec passion ». Citant un auteur anonyme du IIe siècle, le Pape a osé affirmer, face à des parlementaires de toutes tendances, que l’âme de cette âme, c’est le christianisme : « Les chrétiens représentent dans le monde ce qu’est l’âme dans le corps. Et le rôle de l’âme, c’est de soutenir le corps ». Il n’a pas eu peur non plus de les exhorter à « travailler pour que l’Europe retrouve sa bonne âme ». Et si là résidait la clef du présent et de l’avenir du continent européen ?
http://www.aleteia.org/fr/international/article/analyse-pape-francois-leurope-et-le-peuplier-5830851652747264?page=2