La réflexion du petit fils de Jacques FESCH : « L’affaire Jacques Fesch n’est pas une erreur judiciaire, mais une erreur de justice »
Suite à notre post sur les figures d’espoir qui ont marqué la prison par la lumière de leur conversion, Quentin Toury, petit-fils de Jacques Fesch et vice-président délégué général de l’Association des Amis de Jacques Fesch*, a souhaité compléter le portrait que nous avions brossé à grands traits de l’histoire de son grand-père. Explications par l’un des meilleurs connaisseurs du dossier.
A partir de quand Jacques Fesch est passé de la figure d’assassin à celle de saint ?
Très tôt, dès l’affaire judiciaire, sa conversion radicale est connue de certains. Jacques Fesch n’en fait jamais état à son procès, mais déjà, elle est connue.
Ainsi le journaliste Max-Pol Fouchet (p. 220 du document) qui dans l’émission de l’ORTF, « Le fil de la vie», incita ses téléspectateurs à écrire au président de la République pour lui demander la grâce du jeune homme. Plus de 5000 lettres parvinrent à l’Elysée, sans succès.
René Coty était convaincu de l’inutilité d’appliquer la peine capitale à cet homme qui n’était plus celui qui avait tué et qui avait changé fondamentalement en prison. Mais, tout catholique qu’il fut, le Président ne trouva pas les forces et le courage de s’opposer à la pressante insistance des syndicats de Police et d’une grande part de l’opinion publique qui réclamaient la tête « d’un tueur de flic ».
La conversion de Jacques Fesch était donc connue, dès son vivant. Dès 1955, des personnes entretiennent un lien spirituel avec lui. Sa femme, le directeur de la prison, ses codétenus, les gardiens, ont témoigné qu’il y avait quelque chose en lui qui ne relevait plus de ce monde, quelque chose de radicalement changé.
Et rapidement après sa mort, des chrétiens l’ont considéré comme un intercesseur auprès de Dieu, des anonymes sont venus fleurir sa tombe ou y déposer des intentions de prière. Car Jacques Fesch a pu échapper à la fosse commune des condamnés à mort grâce à sa belle-mère, Marinette Polack, qui avec acharnement, a réclamé son corps au ministère de la Justice. Qui a fini par céder, ce qui est une mesure exceptionnelle !
Mais ce n’est qu’en 1971, à la publication de Lumière sur l’échafaud, sa correspondance avec le Frère Thomas(1)avec qui il a entretenu une relation épistolaire au cours de son incarcération, que le grand-public prend pleinement conscience de l’envergure de cet homme révélée dans l’épreuve de la prison et de la condamnation à mort.
C’est le début d’un phénomène qui ne se dément pas.
Le Père Lemonnier, prêtre carme, s’est vivement intéressé à l’histoire et aux écrits de Jacques, et c’est dans cette optique qu’il est entré en relation avec le Frère Thomas et la famille. Contre toute attente, l’initiative commune du Père Lemonnier, de ma grand-mère Pierrette Fesch et de Frère Thomas rencontre un écho étonnant. Cette publication - qui sera suivie en 1980 de Cellule 18, sa correspondance avec sa belle-mère, et en 1989(2), de son journal sous le titre Dans 5 heures je verrai Jésus !(3), ravive la flamme de la dévotion. Cela a permis aux gens de rentrer dans sa cellule. Jusqu’en Italie où la notoriété de Jacques Fesch est presque plus importante qu’en France ! C’est alors que germe l’idée de la béatification.
Où en est-elle ?
La procédure a débuté en 1987 et a été rendue publique en 1994 par Monseigneur Lustiger, archevêque de Paris. Cette officialisation a précisément commencé à partir d’un entretien donné par le cardinal à la presse qui fut publié le 24 décembre 1993. La première phase d’ouverture d’un procès en béatification est déjà une reconnaissance par l’Eglise que Jacques Fesch est « serviteur de Dieu ». La commission de béatification est aujourd’hui sur le point d’achever la seconde phase qui consiste en l’étude des faits de la vie du candidat. Une personne a joué un rôle déterminant dans ce laborieux travail d’enquête et d’archives, c’est Sœur Véronique, une carmélite de San Remo en Italie qui a reçu une dérogation spéciale pour sortir de son monastère et participer à l’étude de la procédure de béatification. Le rapport final va être envoyé au Vatican prochainement qui décidera si Jacques Fesch a vécu, ou pas, les vertus chrétiennes de manière exemplaire, voire, héroïque. Enfin, cet examen doit être confirmé par la reconnaissance d’un miracle obtenu par l'intercession céleste de la personne concernée.
Pourquoi cette béatification est-elle importante ?
Car elle permettra une vénération publique de Jacques Fesch, qui n’est possible, aujourd’hui, qu’à titre privé. Et surtout, elle proposera aux chrétiens et aux non-chrétiens – en particulier ceux qui ont commis des fautes et sont enfermés - une extraordinaire figure d’espoir. Monseigneur Lustiger disait : « Aucun être humain n’a le droit de se mépriser, au point de se considérer comme abandonné à une déchéance irrémédiable. Aucune personne ne peut se dire exclue de l’amour que Dieu lui porte. Nul n’est un bon à rien.» Cette béatification impose l’idée que des condamnés, même des assassins, ne sont pas perdus aux yeux de Dieu. Cela en dérangera sans doute certains. Mais le christianisme n’est-il pas là pour déranger l’Homme ?
Comment votre famille a vécu ce parcours radical, cette descente aux enfers et cette rédemption, qui fait immanquablement penser au calvaire de Jésus jusqu’à la crucifixion ?
La guillotine a longtemps poursuivi les proches de Jacques Fesch jusque dans leur sommeil. Tant son épouse que sa fille ont vécu l’opprobre social de la bonne société de St Germain-en-Laye. Lorsqu’on croisait « la femme ou la fille de l’assassin », on changeait de trottoir. Imaginez-vous le comportement et les réflexions des enfants en cour de récréation… La presse a souvent caricaturé cette histoire et la figure de mon grand-père afin de servir son propos. La famille a souhaité oublier. Mais on ne peut totalement se défaire d’un héritage pareil. Et la nécessité de partager ces écrits s’est imposée, mystérieusement. Qu’ils aient été conservés, qu’ils aient rencontré un tel succès, cela dépasse tout le monde, cela n’est contrôlé par personne. Cela s’impose.
Faut-il charger son père Georges Fesch comme le font certains auteurs ?
Le contexte familial a sans doute joué sur la dérive de Jacques Fesch. Il y avait peu de marques d’affection dans la famille. Par exemple, on ne fêtait pas les anniversaires. Au cours du procès, on reprochera d’ailleurs à Jacques Fesch une attitude jugée froide. C’était son éducation : ne pas montrer ses sentiments. Ses parents ne s’entendaient pas. Son père, Georges, a été très absent. Enfin, ses sœurs étant plus âgées que lui, Jacques a vécu dans cette grande maison qu’est l’hôtel de Noailles, seul. La responsabilité de Georges Fesch, comme parent, est certaine, mais comme celle de sa mère.
Elle est, en tout cas, apparue flagrante au procès. Mais, peut-être aussi a-t-il voulu au cours du procès, prendre sur lui afin de décharger son fils. Cet homme qui avait beaucoup voyagé du fait de sa réussite professionnelle, était un grand érudit, très cultivé, compositeur qui vivait pour sa musique. Savoir ce qui l’a amené au nihilisme qu’il a toujours professé serait intéressant. Il y a des zones d’ombres.
Les rapports entre le père et son fils ont toujours étaient difficiles, jusqu’après le procès. Son athéisme chevillé au corps sera difficilement vécu par Jacques en prison. Aux rapports père-fils délicats, s’ajouteront donc les rapports croyants-athées. Mais ma conviction est que le personnage de Georges Fesch a été trop noirci et qu’il est beaucoup plus complexe que le costume du père indigne qu’on lui fait porter.
Quel est votre regard sur le procès ? Aurait-il pu être gracié ?
Ce n’est pas à mon sens une erreur judiciaire, mais une erreur de justice. Il y a d’ailleurs un certain nombre d’irrégularités dans la procédure. Sa responsabilité dans le braquage de cet agent de change et la mort du policier est totale, il ne se défausse pas, il l’admet complètement. Mais il va même au-delà. Il dit en somme: ma responsabilité est plus ancienne, profonde et générale. Elle concerne aussi mon épouse et ma fille, et à ce qui m’a conduit à cet acte. De ça, j’aurais à rendre des comptes à Dieu. Il s’est mis progressivement dans les conditions d’un braqueur. Dès l’instant où il s’est engagé sur cette pente criminelle, il porte une part essentielle de responsabilité.
C’est pour vous un long chemin vers la chute.
Il l’écrit dans Lumière sur l’échafaud : « On consent au mal pendant des années et rien n’arrive ! Sans s’en rendre compte, notre liberté diminue, le corps s’affaiblit et notre volonté s’atrophie. […] jusqu’au jour où le mal devient tellement partie intégrante de l’être qu’on ne peut plus agir efficacement et qu’on se laisse emporter dans le tourbillon dévastateur.»
Le drame du braquage et du meurtre de l’agent de police qui s’en suit est donc l’aboutissement d’une longue dérive psychologique. C’est alors un jeune homme de 24 ans, père à 21 ans, perdu, paumé, qui n’arrive pas à assumer le rôle qui est le sien. Nourri de livres d’aventure et de voyage, il décide d’acquérir un bateau qu’il n’a pas les moyens d’acheter. Il n’a, également, aucune notion de navigation. C’est un projet complètement irrationnel. Il a demandé de l’argent à son père qui a refusé, pensant à une lubie passagère. De petits rien en petits rien, il a fini par perdre tout sens commun. Il n’arrivait pas à résoudre ses problèmes, il s’est évadé en fuyant ses responsabilités dans des projets fantasmés. Le retour à la réalité sera aussi brutal que dramatique.
Selon vous, des circonstances atténuantes auraient pu être retenues ?
Oui, car si, comme nous l’avons vu, Jacques Fesch assume sa responsabilité dans la mort de l’agent de Police, des circonstances atténuantes auraient pu être prises en compte. Car il a été condamné pour homicide volontaire, alors qu’il n’a jamais souhaité tuer ce policier. Il le dit : il n’était pas libre, ce 25 février 1954, lorsqu’il a posé cet acte. Dans des écrits inédits, il confesse ne pas avoir vu distinctement l’agent de police. Complètement myope(4), il avait perdu ses lunettes dans sa fuite. Il s’était aussi blessé la main avec son pistolet en assommant l’agent de change, qui était une connaissance de son père… Lorsqu’il quitte l’immeuble dans lequel il s’était caché pour échapper à la police et aux badauds qui le poursuivent au sortir du magasin, il est aux abois, affolé. Tout s’accélère. Il dit « être comme dans un film qui va trop vite ». Dans la cour, il est reconnu. L’agent de police, Jean-Baptiste Vergne, le somme de s’arrêter, puis tire. Jacques Fesch, par pur réflexe, tire à son tour, au jugé, un coup à travers la poche de son imperméable et touche en plein cœur le policier. Il n’a pas eu le temps de réfléchir à ce qu’il faisait et voulait seulement s’enfuir : il a agi par peur et par impulsion et non par volonté de tuer. Cet homme, veuf, était père d’une petite Marie-Annick âgée de 4 ans. Face à ce drame commun, et depuis tant d’années, ma famille a constamment eu une pensée pour elle.
Le contexte historique et politique a joué contre Jacques Fesch ?
C’est certain. Nous sommes au début de la guerre d’Algérie, avec les premiers agissements du FLN, des représentants de l’Etat sont pris pour cible fréquemment. L’affaire Emile Buisson, ennemi public numéro 1 car auteur de nombreux braquages et de meurtres, est dans tous les esprits. De plus, peu avant l’affaire Fesch, deux policiers ont été tués dans le cadre d’un braquage. L’assassin, membre du grand-banditisme, a échappé à la peine de mort. De même que le meurtrier d’un motard des forces publiques qui échappa également à la peine capitale. Ce qui provoque un tôlé chez les policiers. Le syndicat de police fait pression sur le gouvernement pour avoir la tête de Fesch. Il menace même de ne pas assurer la sécurité de la visite de la reine d’Angleterre au président Coty ! La volonté manifeste était de faire un exemple. Les dés étaient donc pipés.
L’affaire Jacques Fesch pose de manière radicale, la question de la peine de mort ?
On peut tous basculer dans une spirale criminelle. Personne n’est à l’abri, irréprochable, infaillible. C’est ce qu’apprend l’histoire de Jacques Fesch.
Les exécutions ont été publiques pendant longtemps. Il y avait dans le pilori ou la mise à mort en place publique un aspect spectaculaire, car il fallait montrer l’exemple. Malheureusement, nous savons que parmi les foules qui criaient à mort, il pouvait y avoir de futurs assassins, et donc de futurs condamnés à mort. On l’a vu pour Patrick Henri.
Pour la peine de mort, il n’y a pas à transiger, il faut la refuser. C’est un archaïsme barbare ; au même titre que la torture. Certains s’affirment contre la peine de mort sauf… pour les tueurs d’enfants. Non, c’est une question de principe, une conception philosophique humaniste, en plus d’être un constat d’évidence. La justice n’est pas infaillible, puisqu’elle est humaine. Les erreurs judiciaires sont irréparables. Dans une société dite civilisée, la raison doit l’emporter sur les passions et le désir de vengeance qui ne répare jamais rien. En outre, elle ne revêt aucun caractère dissuasif et ne baisse aucunement la criminalité: un homme qui veut commettre un méfait pense généralement qu’il va pouvoir s’en sortir, ne pas se faire prendre et échapper à toute sanction, peine de mort ou pas. Ou alors, il ne pense même pas à ce genre de considérations, surtout en cas d’acte non prémédité ou de pulsions. La peine de mort, c’est nier au condamné toute chance de s’amender. Cet acte empêche au condamné toute possibilité d’exprimer son véritable potentiel comme le fit, par exemple, Philippe Maurice en devenant un historien reconnu. Et la peine de mort est injuste car elle sera prononcée ou non en fonction du talent des avocats, du contexte général, de l’opinion publique, d’un juge et un juré plus ou moins cléments…
Vous avez, en janvier 2010, créé l’Association des amis de Jacques Fesch*. Pourquoi ?
L’Association est née de la volonté commune de personnes touchées par le destin singulier de Jacques Fesch d’accompagner ce phénomène qui perdure de lui-même depuis les années 1950. L’Association vise à perpétuer fidèlement la mémoire de Jacques Fesch et la teneur de son message. Ce qui passe par un grand travail de réactualisation des éditions successives des écrits de Jacques Fesch. Il faut également les compléter par les inédits retrouvés, notamment aux archives de l’archevêché de Paris et dans les archives personnelles et familiales.
Elle entend aussi promouvoir des actions concrètes envers les jeunes en manque de repères qui ont chuté et veulent s’en sortir. Elle vise aussi à exprimer de la solidarité humaine au monde carcéral. En résumé, nous voulons, à travers ce cas particulier emblématique, venir en aide à tous ceux qui sont dans la détresse, de quelque nature qu’elle soit. C’était le souhait de mon grand-père qui voulait ainsi que son histoire serve aux autres afin que personne ne se perde.
Pour aller plus loin :
· Lumière sur l’échafaud, suivi de Cellule 18, Pierre TEQUI éditeur, 2007
· Dans cinq heures je verrai Jésus!, éd. Fayard Le Sarment, 1998
1 Frère Thomas est un moine bénédictin de l’abbaye de la Pierre-qui-Vire, déjà ami de Pierrette Fesch, qui avait spontanément écrit à Jacques Fesch en prenant connaissance de son histoire dans la presse2 le journal est publié pour la première fois en langue italienne en 1982.3 La publication du journal de Jacques Fesch a été autorisée et souhaitée par ma mère Véronique Fesch, à laquelle il a été légué4 dans son livret militaire, il est indiqué qu’il n’avait que 2/10ème et 5/10ème de visibilité à chaque œil. Cette information ne sera pas utilisée lors du procès. * Siège social : 13 rue du Vieil Abreuvoir, 78100, St Germain-en-Laye (adresse postale). Michel Grondin, ami d’enfance de Jacques Fesch et ancien maire-adjoint de Saint Germain-en-laye, est le président de l’association.Publié par Guillaume Desanges à 03:00