Suivre le Christ : figures de sainteté
MADELEINE DELBRÊL, UNE VIE MISSIONNAIRE AU COEUR DE LA VILLE
Marie Thérèse Abgrall sfx
"Dieu est mort, vive la mort" et la vie est absurde… Qui aurait pu imaginer que la jeune fille de 17 ans, qui lance alors comme un cri de défi cette profession de foi nihiliste, s’engagerait dix ans plus tard comme "missionnaire sans bateau" au cœur de la ville pour y vivre l’Évangile ?
© Responsable des Equipes Madeleine Delbrêl
et Archives familiales
et Archives familiales
Madeleine Delbrêl est née en 1904 à Mussidan, en Dordogne. Elle est fille unique, très choyée, et déjà sa personnalité s’affirme, vive, impulsive, artiste. Elle mène une vie très libre et poursuit ses études de manière un peu anarchique car sa santé fragile l’oblige souvent à travailler seule à la maison. De plus, étant cheminot, son père entraîne les siens dans de multiples déplacements. Dès 13 ans, à Paris, elle fréquente avec lui des milieux littéraires agnostiques ou athées, s’adonne à la poésie, à la musique. Elle aime danser et faire la fête entre amis. Elle s’inscrit à une académie de peinture et suit des cours en Sorbonne. Il y a en elle, à cette époque, un mélange de lucidité désespérée et d’amour passionné de la vie.
Mystérieux destin
A 18 ans, elle fait connaissance d’un garçon brillant, Jean Maydieu. Au bal de ses 19 ans, ils ne se quittent guère et on les voit déjà fiancés. Mais Jean a déjà entendu un autre appel et il la quitte brusquement pour rejoindre le noviciat des Dominicains. Mystérieux destins croisés… Cet éloignement soudain laissera Madeleine dans le désarroi et les questions. Cinq ans plus tard, dans une lettre à sa mère, elle écrira pourtant : "Nous aurions pu manquer tragiquement notre vie, Jean et moi. Nous étions faits pour autre chose et le réveil aurait pu être terrible".
L’un et l’autre, en effet, sont appelés à une autre vocation.
© Responsable des Equipes Madeleine Delbrêl
et Archives familiales
Elle est en quête de vérité. La question de Dieu la taraude, et c’est une question qui ne peut être éliminée d’un trait puisque d’autres jeunes, ses camarades, "ni plus vieux ni plus bêtes ni plus idéalistes que moi, dira-t-elle plus tard, se disent chrétiens et en vivent". Elle cherche alors à comprendre, à rejoindre leur "réel". Elle, dont la formation religieuse s’est bornée à un catéchisme vite rejeté, se met à lire et décide de prier. Un jour, sur ce chemin, Dieu la saisit.
De cette rencontre intime qui va bouleverser sa vie, nous ne saurons rien sinon que ce fut un éblouissement et qu’il dura toute sa vie. "Car Dieu est grand et ce n’est pas l’aimer du tout que de l’aimer petitement." Nous sommes en 1924, elle a 20 ans et songe à entrer au Carmel. Ce n’est pas là que Dieu l’appelle, mais dans un engagement dans la cité avec les pauvres. Dans sa paroisse, elle découvre peu à peu, avec l’aide du Père Lorenzo, toute la richesse et toute la radicalité de l’Évangile. Elle se lance avec passion dans le scoutisme. Avec certaines jeunes cheftaines, elle se retrouve une fois par semaine pour lire et méditer l’Évangile.
Elle prie beaucoup et se laisse conduire par l’Esprit-Saint. L’Évangile va peu à peu devenir pour elle "non seulement le livre du Seigneur vivant, mais encore le livre du Seigneur à vivre".
Ainsi trouve-t-elle sa route qui la conduite à entamer des études d’assistante sociale et à s’installer en 1933 à Ivry, en plein quartier ouvrier, pour y vivre avec deux compagnes une vie fraternelle, une vie laïque toute semblable à celle des "gens ordinaires" mais entièrement donnée à Dieu, livrée au Christ et, pour l’amour de lui, aux autres. Ivry est une ville fortement marquée par le marxisme ; le parti communiste y est très actif. Quand elle y arrive, elle ignore tout de ce qu’elle va trouver : la grande pauvreté et la misère liées à la crise économique et sociale des années trente, ainsi qu’une déchristianisation profonde, "un mur entre la classe ouvrière et l’Église" (cardinal Suhard). Elle se sent envoyée à ce monde-là. Elle va y demeurer jusqu’à sa mort.
© Responsable des Equipes Madeleine Delbrêl
et Archives familiales
Elle vit la mission en proximité avec "les gens des rues", "au coude à coude avec les pauvres et les incroyants", dans la vie la plus ordinaire. Dans la cité, elle prend des engagements aux côtés des militants communistes, mais sans jamais s’inféoder à cette idéologie athée qu’elle ne peut partager. Elle noue un dialogue vrai, des relations amicales et profondes avec tous, y compris avec la municipalité, tout en gardant l’entière liberté de parole qui la caractérise. Elle mène avec eux des actions communes sans pour autant cacher sa foi et son attachement filial à l’Église. "Milieu athée, circonstance favorable à notre propre conversion", tel sera le titre de sa dernière conférence à des étudiants, quelques semaines avant sa mort.
Ainsi trouve-t-elle sa route qui la conduite à entamer des études d’assistante sociale et à s’installer en 1933 à Ivry, en plein quartier ouvrier, pour y vivre avec deux compagnes une vie fraternelle, une vie laïque toute semblable à celle des "gens ordinaires" mais entièrement donnée à Dieu, livrée au Christ et, pour l’amour de lui, aux autres. Ivry est une ville fortement marquée par le marxisme ; le parti communiste y est très actif. Quand elle y arrive, elle ignore tout de ce qu’elle va trouver : la grande pauvreté et la misère liées à la crise économique et sociale des années trente, ainsi qu’une déchristianisation profonde, "un mur entre la classe ouvrière et l’Église" (cardinal Suhard). Elle se sent envoyée à ce monde-là. Elle va y demeurer jusqu’à sa mort.
Aux côtés des militants communistes
© Responsable des Equipes Madeleine Delbrêl
et Archives familiales
Elle vit la mission en proximité avec "les gens des rues", "au coude à coude avec les pauvres et les incroyants", dans la vie la plus ordinaire. Dans la cité, elle prend des engagements aux côtés des militants communistes, mais sans jamais s’inféoder à cette idéologie athée qu’elle ne peut partager. Elle noue un dialogue vrai, des relations amicales et profondes avec tous, y compris avec la municipalité, tout en gardant l’entière liberté de parole qui la caractérise. Elle mène avec eux des actions communes sans pour autant cacher sa foi et son attachement filial à l’Église. "Milieu athée, circonstance favorable à notre propre conversion", tel sera le titre de sa dernière conférence à des étudiants, quelques semaines avant sa mort.
© Responsable des Equipes Madeleine Delbrêl
et Archives familiales
Son expérience est précieuse pour tous ceux qui veulent alors, dans les années quarante et cinquante, s’engager pour la mission ouvrière. C’est une époque bouillonnante de recherches, débats et tâtonnements dans l’Église de France et son discernement si juste sait mesurer les enjeux de cette grande aventure apostolique. En 1952, soucieuse des menaces de division à l’intérieur de l’Église autour de la question des prêtres-ouvriers, elle fait un voyage éclair à Rome. Elle y reste douze heures qu’elle passera entièrement à prier auprès du tombeau de saint Pierre. "Rome est pour moi une sorte de sacrement du Christ-Église et il me semblait que certaines grâces ne se demandent pour l’Église et ne s’obtiennent pour elle qu’à Rome" (lettre au Père Jean Gueguen). Toute la foi de Madeleine est là, tout l’élan qui l’anime. Pendant trente ans, elle vit "aux frontières, là où l’Évangile ne retentit pas". La maison de la rue Raspail est toujours pleine, elle est très sollicitée et se dépense sans compter en dépit d’une santé toujours très fragile et de lourdes épreuves familiales. Elle passe des nuits à écrire des lettres, des notes, des conférences. Elle répond à des appels venus de Pologne, d’Afrique. A ce rythme, elle s’épuise et se consume. "L’amour de Dieu est une chose si dévorante, si totale, si intransigeante pour ceux qui veulent l’aimer."
Le 13 octobre 1964, on la trouve inanimée à sa table de travail. Elle allait avoir 60 ans.
Aujourd’hui, la cause de béatification de Madeleine Delbrêl est introduite à Rome.
Son rayonnement est à la mesure du souffle missionnaire qui l’a habitée.