Allemande, 65 ans et future maman : Vive la PMA !
Ce n’est pas Annegret Raunigk qui est zinzin, c’est notre monde.
Le champ des possibles ouvert par l’attelage PMA-GPA est infini.
Gabrielle Cluzel
Ecrivain, journaliste
Qui a dit que les Allemands n’avaient plus d’enfants ? Annegret Raunigk, une institutrice berlinoise de 65 ans, déjà mère de 13 enfants, est enceinte de quadruplés. Grâce à une PMA – avec don d’ovocyte, bien sûr – à l’étranger.
Dimanche, elle a fait la une du Bild et de quelques autres journaux en Europe. Elle y explique avoir eu envie faire plaisir à sa petite dernière qu’elle avait déjà eue à un âge avancé (55 ans) et qui rêvait d’un petit frère ou une petite sœur. À ceux qui s’inquiètent de la santé de la mère et des enfants – grossesse tardive et grossesse multiple sont, indépendamment l’une de l’autre réputées « à risque », alors que dire des grossesses, très, très tardives et très, très « multiples » ? – son médecin rétorque que, pour le moment, tout se passe bien.
On tombe à la renverse, on se pince, on pousse des « oh » et des « ah », on parle de mère dingo et de docteur Maboul en se vissant l’index sur la tempe, on soupire « pauvres enfants », on glisse qu’à ce stade, elle aurait plus besoin d’un psy que d’un gynéco, on demande en ricanant ce qu’il adviendra quand à leur tour – s’ils parviennent à survivre, les pauvrets, si nombreux dans une matrice passablement hors d’usage — ses quadruplés se plaindront d’être les derniers et réclameront un bébé… à leur mère de 75 ans ?
Et on a tort. Car Annegret Raunigk n’a rien « d’hors norme »… pour peu que l’on considère ce qu’est devenu la norme. Elle est au contraire en parfaite cohérence avec notre monde occidental.
Elle a 65 ans, et alors ? Elton John en a bien 68, qui vient « d’avoir » deux enfants. Par don d’ovocyte, lui aussi. Et on a bien compris, depuis l’incident Dolce & Gabbana, qu’il fallait applaudir à grand bruit, quiconque – même riche, célèbre et homosexuel – refusant de le faire étant voué aux gémonies. Dans le cas d’Elton John, il s’agissait de réparer une discrimination de la nature à l’endroit des homosexuels, qui les a privés d’utérus. Dans le cas d’Annegret Raunigk, il s’agit d’en réparer une autre, tout aussi injuste, qui elle n’atteint que les femmes : la ménopause. La nature est homophobe et machiste, on ne peut quand même pas la laisser sévir bras croisés ?
Elle a 65 ans, et alors ? N’est-ce pas le moment idéal pour avoir un enfant ? C’est ce que pensent sans doute en tout cas Apple, Facebook, et quelques autres « technofirmes » comme Microsoft ou Citigroup qui proposent obligeamment à leurs salariées de financer la congélation de leurs ovocytes. Or bien sûr, si l’on arrête l’horloge biologique à 30 ans, ce n’est pas pour la faire repartir à 40, quand les cadres supérieurs sont au maximum de leur potentiel mais point encore au faîte de leur carrière. Comment avoir la cruauté d’y mettre un coup d’arrêt ? De les renvoyer soudain couver à la maison, entre nausées, tétées et couches souillées ? Pour la FIV, rien de tel que l’âge de la retraite.
Ce n’est pas Annegret Raunigk qui est zinzin, c’est notre monde. Le champ des possibles ouvert par l’attelage PMA-GPA est infini. Et dans dix ans, si rien ne change, ce dernier galopera dans des contrées si impensables, tragiques, farfelues que les épigones d’Annegret Raunigk n’auront pas seulement droit à un entrefilet dans Bild.
Gabrielle Cluzel
http://www.bvoltaire.fr/gabriellecluzel/allemande-65-ans-et-future-maman-vive-la-pma,170862