Le vibrant plaidoyer du Pape François pour un changement de système mondial
News.va
Aujourd'hui à 04:20
(RV) Temps fort de l’étape bolivienne, le Pape a conclu jeudi soir la rencontre mondiale des mouvements populaires, qui avait commencé mardi à Santa Cruz. Organisée en collaboration avec le Conseil pontifical Justice et Paix et l’Académie pontificale des Sciences sociales, elle a rassemblé pendant trois jours les délégués d’organisations syndicales de paysans, d’indigènes et d’ouvriers, des travailleurs précaires, des représentants de l’économie dite informelle, des migrants. Cinq thèmes étaient au cœur de ce rendez-vous : logement, travail, violence, terre et climat.
En guise de clôture, c'est un discours très fort que le Pape François a adressé aux participants de cette rencontre. Le Saint-Père a commencé par dresser un constat très sévère et critique du système qui régit la planète actuellement. S'interrogeant à voix haute, le Pape a demandé : « reconnaissons-nous que les choses ne marchent pas bien dans un monde où il y a tant de paysans sans terre, tant de familles sans toit, tant de travailleurs sans droits, tant de personnes blessées dans leur dignité ? Reconnaissons-nous que les choses ne vont bien quand éclatent tant de guerres absurdes et que la violence fratricide s’empare même de nos quartiers ? Reconnaissons-nous que les choses ne vont pas bien quand le sol, l’eau, l’air et tous les êtres de la création sont sous une permanente menace ? ». La réponse de François ne s'est pas faite attendre : « disons-le sans peur : nous avons besoin d’un changement et nous le voulons. (...) On ne peut plus supporter ce système, et la Terre non plus ne le supporte pas ».
Remplacer l'indifférence par l'espérance
François a déploré cette « dictature subtile », qui « porte atteinte au projet de Jésus », où l'« on est en train de châtier la terre, les peuples et les personnes de façon presque sauvage. Et derrière tant de douleur, tant de mort et de destruction, se sent l’odeur de ce que Basile de Césarée appelait “le fumier du diable” ; l’ambition sans retenue de l’argent qui commande. Le service du bien commun est relégué à l’arrière-plan ». Un système qui ruine la société, détruit l'homme et le rend esclave.
Pour amorcer un changement « positif, qui nous fasse du bien, rédempteur », François appelle de ses vœux à remplacer « la globalisation de l'exclusion et de l'indifférence », qu'il a tant de fois dénoncée, par « une globalisation de l’espérance, qui naît des peuples et s’accroît parmi les pauvres ». Le Pape sent aujourd'hui une attente, même dans des lieux inattendus au premier abord, comme par exemple au cœur du système : « même dans cette minorité toujours plus réduite qui croit bénéficier de ce système règnent l’insatisfaction et spécialement la tristesse. Beaucoup espèrent un changement qui les libère de cette tristesse individualiste asservissante » a-t-il constaté. Ce changement est possible et atteignable selon François, et « l'avenir de l'humanité n'est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants, des grandes puissances et des élites. Il est fondamentalement dans les mains des peuples ».
Les plus pauvres, moteurs du changement à venir
Ainsi, François appelle chacun à se mobiliser, et plus spécialement les plus pauvres. « Vous êtes des semeurs de changement, a-t-il lancé aux mouvements populaires. Vous, les plus humbles, les exploités, les pauvres et les exclus, vous pouvez et faites beaucoup. J'ose vous dire que l'avenir de l'humanité est, dans une grande mesure, dans vos mains. Ne vous sous-estimez pas ! » s'est-il exclamé. Pour le Saint-Père, l'un des moteurs du changement réside dans l'émotion car elle apporte «un supplément de sens que seuls comprennent les peuples » : « quand nous regardons le visage de ceux qui souffrent, le visage du paysan menacé, du travailleur exclu, de l'indigène opprimé, de la famille sans toit, du migrant persécuté, du jeune en chômage, de l'enfant exploité, de la mère qui a perdu son fils dans une fusillade parce que le quartier a été accaparé par le trafic de stupéfiants, du père qui a perdu sa fille parce qu'elle a été soumise à l'esclavage a énuméré François, quand nous nous rappelons ces ‘‘visages et noms’’, nos entrailles se remuent face à tant de douleur et nous sommes émus car nous avons vu et entendu ».
Dans cet appel à l'action et la mise en place d'une sorte de « programme social qui reflète ce projet de fraternité et de justice que nous attendons », le Pape n'a pas oublié le rôle de l'Église.
Mais attention à ne pas attendre d'elle de recette précise : « ni le Pape ni l'Église n’ont le monopole de l'interprétation de la réalité sociale, ni le monopole de proposition de solutions aux problèmes contemporains, a-t-il tenu à souligner. L’histoire, ce sont les générations successives des peuples en marche à la recherche de leur propre chemin et dans le respect des valeurs que Dieu a mises dans le cœur, qui la construisent ».
Temps fort du discours, il a également demandé explicitement pardon aux peuples indigènes du continent américain pour le mal commis par l'Église pendant sa mission d'évangélisation. « De nombreux et de graves péchés ont été commis contre les peuples originaires de l'Amérique au nom de Dieu, a reconnu François, comme ses prédecesseurs. Je demande humblement un pardon, non seulement pour les offenses de l’Église même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique ». François a tout de même tenu à faire mémoire de tous ces prêtres, évêques, sœurs et religieux, « qui se sont opposés à la logique de l'épée avec la force de la croix », prenant la défense des peuples indigènes.
Économie, unité et développement durable
Si François affirme qu'il ne détient pas la recette du changement attendu, il a néanmoins donné trois grands principes pour y parvenir. D'abord, « mettre l'économie au service des peuples et dire non à une économie d'exclusion et d'injustice où l'argent règne au lieu de servir (...). Une économie vraiment communautaire, l’on pourrait dire, une économie d'inspiration chrétienne, doit garantir aux peuples dignité. Cela implique les 3 T : terre, travail et toit pour tous », une formulation fréquemment reprise dans les différents discours de cette rencontre des mouvements populaires. « C'est un devoir moral a répété François. Pour les chrétiens, la charge est encore plus lourde : c'est un commandement. Il s'agit de rendre aux pauvres et aux peuples ce qui leur appartient », afin que tous, nous puissions « vivre bien ».
La deuxième tâche « est d'unir nos peuples sur le chemin de la paix et de la justice a conseillé le Saint-Père. Les peuples du monde veulent être artisans de leur propre destin. Ils veulent conduire dans la paix leur marche vers la justice. Ils ne veulent pas de tutelles ni d'ingérence où le plus fort subordonne le plus faible. Ils veulent que leur culture, leur langue, leurs processus sociaux et leurs traditions religieuses soient respectés ». Dénonçant « le nouveau colonialisme » qui peut prendre des visages différents comme « quelques traités dénommés ‘‘de libre commerce’’ et l'imposition de mesures d’‘‘austérité’’ qui serrent toujours la ceinture des travailleurs et des pauvres », le Pape François s'est aussi insurgé contre « le colonialisme idéologique » qui dérive de la concentration des moyens de communication « qui essaie d'imposer des directives aliénantes de consommation et une certaine uniformité culturelle ». Toutes ces nouvelles formes de colonialisme sont dangereuses car elles génèrent de l'injustice « et l’injustice génère la violence qu’aucun recours policier, militaire ni aucun service d'intelligence ne peut arrêter ».
Enfin, le Pape a renouvelé son appel pressant à la défense de la « Mère Terre » : « la maison commune de nous tous est pillée, dévastée, bafouée impunément. La lâcheté dans sa défense est un grave péché » a-t-il dit, renvoyant à la lecture de son encyclique Laudato Si'. Pour conclure, le Pape a demandé aux participants de «dire ensemble de tout cœur : aucune famille sans logement, aucun paysan sans terre, aucun travailleur sans droits, aucun peuple sans souveraineté, aucune personne sans dignité, aucun enfant sans enfance, aucun jeune sans des possibilités, aucun vieillard sans une vieillesse vénérable. Continuez votre lutte et, s'il vous plaît, prenez grand soin de la Mère la Terre ».
Les conclusions de cette deuxième rencontre mondiale des mouvements populaires ont été remises au Pape François et à Evo Morales. Le président bolivien était déjà présent à la première rencontre qui s’était déroulée en octobre 2014 au Vatican.
(Tratto dall'archivio della Radio Vaticana)
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Aujourd'hui à 04:20
(RV) Temps fort de l’étape bolivienne, le Pape a conclu jeudi soir la rencontre mondiale des mouvements populaires, qui avait commencé mardi à Santa Cruz. Organisée en collaboration avec le Conseil pontifical Justice et Paix et l’Académie pontificale des Sciences sociales, elle a rassemblé pendant trois jours les délégués d’organisations syndicales de paysans, d’indigènes et d’ouvriers, des travailleurs précaires, des représentants de l’économie dite informelle, des migrants. Cinq thèmes étaient au cœur de ce rendez-vous : logement, travail, violence, terre et climat.
En guise de clôture, c'est un discours très fort que le Pape François a adressé aux participants de cette rencontre. Le Saint-Père a commencé par dresser un constat très sévère et critique du système qui régit la planète actuellement. S'interrogeant à voix haute, le Pape a demandé : « reconnaissons-nous que les choses ne marchent pas bien dans un monde où il y a tant de paysans sans terre, tant de familles sans toit, tant de travailleurs sans droits, tant de personnes blessées dans leur dignité ? Reconnaissons-nous que les choses ne vont bien quand éclatent tant de guerres absurdes et que la violence fratricide s’empare même de nos quartiers ? Reconnaissons-nous que les choses ne vont pas bien quand le sol, l’eau, l’air et tous les êtres de la création sont sous une permanente menace ? ». La réponse de François ne s'est pas faite attendre : « disons-le sans peur : nous avons besoin d’un changement et nous le voulons. (...) On ne peut plus supporter ce système, et la Terre non plus ne le supporte pas ».
Remplacer l'indifférence par l'espérance
François a déploré cette « dictature subtile », qui « porte atteinte au projet de Jésus », où l'« on est en train de châtier la terre, les peuples et les personnes de façon presque sauvage. Et derrière tant de douleur, tant de mort et de destruction, se sent l’odeur de ce que Basile de Césarée appelait “le fumier du diable” ; l’ambition sans retenue de l’argent qui commande. Le service du bien commun est relégué à l’arrière-plan ». Un système qui ruine la société, détruit l'homme et le rend esclave.
Pour amorcer un changement « positif, qui nous fasse du bien, rédempteur », François appelle de ses vœux à remplacer « la globalisation de l'exclusion et de l'indifférence », qu'il a tant de fois dénoncée, par « une globalisation de l’espérance, qui naît des peuples et s’accroît parmi les pauvres ». Le Pape sent aujourd'hui une attente, même dans des lieux inattendus au premier abord, comme par exemple au cœur du système : « même dans cette minorité toujours plus réduite qui croit bénéficier de ce système règnent l’insatisfaction et spécialement la tristesse. Beaucoup espèrent un changement qui les libère de cette tristesse individualiste asservissante » a-t-il constaté. Ce changement est possible et atteignable selon François, et « l'avenir de l'humanité n'est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants, des grandes puissances et des élites. Il est fondamentalement dans les mains des peuples ».
Les plus pauvres, moteurs du changement à venir
Ainsi, François appelle chacun à se mobiliser, et plus spécialement les plus pauvres. « Vous êtes des semeurs de changement, a-t-il lancé aux mouvements populaires. Vous, les plus humbles, les exploités, les pauvres et les exclus, vous pouvez et faites beaucoup. J'ose vous dire que l'avenir de l'humanité est, dans une grande mesure, dans vos mains. Ne vous sous-estimez pas ! » s'est-il exclamé. Pour le Saint-Père, l'un des moteurs du changement réside dans l'émotion car elle apporte «un supplément de sens que seuls comprennent les peuples » : « quand nous regardons le visage de ceux qui souffrent, le visage du paysan menacé, du travailleur exclu, de l'indigène opprimé, de la famille sans toit, du migrant persécuté, du jeune en chômage, de l'enfant exploité, de la mère qui a perdu son fils dans une fusillade parce que le quartier a été accaparé par le trafic de stupéfiants, du père qui a perdu sa fille parce qu'elle a été soumise à l'esclavage a énuméré François, quand nous nous rappelons ces ‘‘visages et noms’’, nos entrailles se remuent face à tant de douleur et nous sommes émus car nous avons vu et entendu ».
Dans cet appel à l'action et la mise en place d'une sorte de « programme social qui reflète ce projet de fraternité et de justice que nous attendons », le Pape n'a pas oublié le rôle de l'Église.
Mais attention à ne pas attendre d'elle de recette précise : « ni le Pape ni l'Église n’ont le monopole de l'interprétation de la réalité sociale, ni le monopole de proposition de solutions aux problèmes contemporains, a-t-il tenu à souligner. L’histoire, ce sont les générations successives des peuples en marche à la recherche de leur propre chemin et dans le respect des valeurs que Dieu a mises dans le cœur, qui la construisent ».
Temps fort du discours, il a également demandé explicitement pardon aux peuples indigènes du continent américain pour le mal commis par l'Église pendant sa mission d'évangélisation. « De nombreux et de graves péchés ont été commis contre les peuples originaires de l'Amérique au nom de Dieu, a reconnu François, comme ses prédecesseurs. Je demande humblement un pardon, non seulement pour les offenses de l’Église même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique ». François a tout de même tenu à faire mémoire de tous ces prêtres, évêques, sœurs et religieux, « qui se sont opposés à la logique de l'épée avec la force de la croix », prenant la défense des peuples indigènes.
Économie, unité et développement durable
Si François affirme qu'il ne détient pas la recette du changement attendu, il a néanmoins donné trois grands principes pour y parvenir. D'abord, « mettre l'économie au service des peuples et dire non à une économie d'exclusion et d'injustice où l'argent règne au lieu de servir (...). Une économie vraiment communautaire, l’on pourrait dire, une économie d'inspiration chrétienne, doit garantir aux peuples dignité. Cela implique les 3 T : terre, travail et toit pour tous », une formulation fréquemment reprise dans les différents discours de cette rencontre des mouvements populaires. « C'est un devoir moral a répété François. Pour les chrétiens, la charge est encore plus lourde : c'est un commandement. Il s'agit de rendre aux pauvres et aux peuples ce qui leur appartient », afin que tous, nous puissions « vivre bien ».
La deuxième tâche « est d'unir nos peuples sur le chemin de la paix et de la justice a conseillé le Saint-Père. Les peuples du monde veulent être artisans de leur propre destin. Ils veulent conduire dans la paix leur marche vers la justice. Ils ne veulent pas de tutelles ni d'ingérence où le plus fort subordonne le plus faible. Ils veulent que leur culture, leur langue, leurs processus sociaux et leurs traditions religieuses soient respectés ». Dénonçant « le nouveau colonialisme » qui peut prendre des visages différents comme « quelques traités dénommés ‘‘de libre commerce’’ et l'imposition de mesures d’‘‘austérité’’ qui serrent toujours la ceinture des travailleurs et des pauvres », le Pape François s'est aussi insurgé contre « le colonialisme idéologique » qui dérive de la concentration des moyens de communication « qui essaie d'imposer des directives aliénantes de consommation et une certaine uniformité culturelle ». Toutes ces nouvelles formes de colonialisme sont dangereuses car elles génèrent de l'injustice « et l’injustice génère la violence qu’aucun recours policier, militaire ni aucun service d'intelligence ne peut arrêter ».
Enfin, le Pape a renouvelé son appel pressant à la défense de la « Mère Terre » : « la maison commune de nous tous est pillée, dévastée, bafouée impunément. La lâcheté dans sa défense est un grave péché » a-t-il dit, renvoyant à la lecture de son encyclique Laudato Si'. Pour conclure, le Pape a demandé aux participants de «dire ensemble de tout cœur : aucune famille sans logement, aucun paysan sans terre, aucun travailleur sans droits, aucun peuple sans souveraineté, aucune personne sans dignité, aucun enfant sans enfance, aucun jeune sans des possibilités, aucun vieillard sans une vieillesse vénérable. Continuez votre lutte et, s'il vous plaît, prenez grand soin de la Mère la Terre ».
Les conclusions de cette deuxième rencontre mondiale des mouvements populaires ont été remises au Pape François et à Evo Morales. Le président bolivien était déjà présent à la première rencontre qui s’était déroulée en octobre 2014 au Vatican.
(Tratto dall'archivio della Radio Vaticana)