05 septembre 2015
Directives anticipées
Lettre rédigée par un prêtre :
Cher médecin qui allez vous occuper de la fin de ma vie,
Puisque nous allons y être invités, j’écris ici mes directives anticipées pour la fin de ma vie. Quelle chance de savoir que pour une fois on va tenir compte de ma volonté ! Tout d’abord je tiens à vous dire mon estime pour votre métier qui est d’ailleurs plus qu’un métier, un appel. Puisque les circonstances vous ont désigné pour vous occuper de mes derniers moments, vous et l’équipe soignante, à laquelle je m’adresse aussi en votre personne, voici donc mes directives. A chacun sa responsabilité, elles passent donc après l’appel que vous avez reçu, mais juste après.
La première est une orientation générale que je formulerai ainsi. J’ignore si vous êtes croyant ou pas mais dans tous les cas : « Ne vous prenez pas pour le Bon Dieu ! ». Avant en effet que ma vie soit entre vos mains en vertu de la médecine, je l’ai reçue de Dieu au moment de ma conception, puis elle s’est développée, et je crois qu’à un moment il va me demander de la lui remettre.
Alors voici ma deuxième directive : « s’il vous plaît ne faites pas écran à ce moment-là ». Je vous aime bien, quoique je ne vous connaisse pas encore, mais si je tiens à avoir de bons rapports avec les membres du corps médical, j’aurais des choses plus importantes encore à régler avec Celui qui m’a donné la vie ! Je vais peut-être vous surprendre mais il est très important pour moi de ne pas rater ce rendez-vous, de bien m’y préparer. Aussi, s’il vous plaît, si vous deviez chercher à soulager des souffrances de la fin de ma vie, je vous en remercierais, mais ne le faites pas au point de supprimer le peu de jugement qui me resterait simplement pour éviter que je souffre. Franchement, je préfèrerais souffrir un peu, ou même beaucoup mais garder des capacités qui me seraient restées jusque là.
Donc voici ma troisième directive : « sauf si vraiment la douleur était insupportable à un point très élevé, ne m’abrutissez pas de calmants. » Je préfère être là, être acteur de ma mort, plutôt que spectateur. Ne me volez pas ma mort ! Je comprends que vous soyez tenté de répéter la vôtre mais vraiment je crois pouvoir vous dire que chacun aura la sienne. En plus de la rencontre ultime avec mon Créateur, je subodore que ce moment sera aussi un temps de rencontre avec ceux qui viendront vers moi : proches ou moins proches, famille ou amis, peut-être même avec des personnes avec qui j’ai eu des différends. Peut-être, si cela m’est donné, des échanges forts et beaux pourront avoir lieu. En tous les cas, quoiqu’il arrive, et même si j’ai perdu ma faculté de jugement, j’espère être à la hauteur, dire si je le peux, ce que j’ai sur le cœur, en tous les cas être vrai, pouvoir apporter quelque chose aux autres. Vivre un dernier combat, vaincre mon égoïsme, donner, donner tout, peut-être par ma seule manière d’être, serait ma grande ambition pour cette heure-là.
Alors, s’il vous plaît, c’est ma quatrième directive : « Faites tout pour faciliter ces temps de rencontre que je pourrais avoir, et aider les personnes qui y seront prêtes. » Je serais peut-être diminué, peut-être serais-je retombé en enfance comme on dit, et n’aurais-je comme paroles que des propos incohérents.
Alors, voici ma cinquième directive : « S’il vous plaît traitez-moi toujours comme une personne, comme une grande personne, et non comme un enfant. En vous adaptant certes à mon état, respectez-moi jusqu’au bout. »Je ne serai jamais seulement un cas, un exemple porteur de telle ou telle maladie, souffrance… je serai toujours ce que je suis : une personne.
Ah oui, j’allais oublier. Il y a bien des manières de mourir et je préfère ne pas choisir, mais étant donné que la terre est pourvue de tout ce qu’il faut, je trouverais vraiment idiot qu’on me laisse mourir de faim ou de soif ou qu’on m’empêche d’évacuer ce qu’il faut. Donc, voici ma sixième directive : « Merci de veiller à ce que soit toujours pourvu à mes besoins primaires. » Cela me paraît la moindre des choses, mettez-vous à ma place ! Et puis on ne sait jamais si ce n’était pas tout à fait ma dernière heure !
Septième et dernière directive : comme je suis catholique : « Merci de faire venir un prêtre quand approcheront mes derniers instants en faisant tout le possible pour que ce soit avant que j’ai perdu ma conscience ». Il saura ce qu’il doit faire et m’aidera à recevoir les sacrements.
Votre métier vous place à un moment important. Cela crée déjà par avance un lien fort entre nous. Je peux penser à vous dès maintenant et je le fais avec confiance. Mais enfin, je vais vous faire une ultime confidence, à l’heure où je vous écris, à l’âge que j’ai, et aux suivants, vraiment je ne suis pas très pressé que vous lisiez ce courrier autrement que comme un billet d’humeur que je préfère ne pas signer aujourd’hui...
Posté le 5 septembre 2015 à 10h14 par Michel Janva Salon Beige