16 octobre 1978
Un homme de son siècle
Chemin de croix
Désillusion européenne
Élection du pape Jean-Paul II
Le 16 octobre 1978, une fumée blanche s'élève au-dessus des toits du Vatican. Après deux jours de réclusion et huit tours de scrutin, les cardinaux réunis en conclave dans la chapelle Sixtine viennent d'élire le 264e successeur de Saint Pierre à la tête de l'Église catholique (d'un mot grec qui signifie universelle).
Un cardinal proclame la formule rituelle : « Habemus papam » (nous avons un pape) et annonce le nom du nouveau pape à la foule amassée sur la place Saint-Pierre de Rome. Celle-ci ne comprend pas et reste un moment interdite. Puis un cri fuse : « È il Polacco ! » (C'est le Polonais !).
La surprise est double : l'élu est relativement jeune (58 ans) et surtout, il n'est pas italien.
C'est une première depuis l'élection du Hollandais Adrian Florisce, pape sous le nom d'Adrien VI en... 1522 (précepteur du futur empereur Charles Quint, il ne survécut qu'une année à son élection).
Un homme de son siècle
Le nouveau pape est l'archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla.
Il est né le 18 mai 1920 dans une modeste famille de Wadowice, petite ville proche de Cracovie. Il poursuit des études brillantes entre un père capitaine, une mère très pieuse et un frère qui deviendra médecin (ses parents ont aussi eu une fille qui est morte avant la naissance de Karol).
Il se destine d'abord à des études littéraires (philologie) et se lance dans l'écriture et le théâtre.
Quand, en 1939, son pays est envahi par les Allemands, il va travailler dans une usine de chimie puis dans une carrière de pierres pour échapper au travail obligatoire en Allemagne. Il entre dans le séminaire clandestin du cardinal Adam Sapieha en octobre 1942, reçoit la prêtrise et le 14 juin 1948, après la guerre, obtient le titre de docteur en théologie.
En 1958, le voilà évêque auxiliaire de Cracovie. Il participe activement au concile Vatican II et devient en 1964 archevêque de Cracovie. Le 26 juin 1967, au Vatican, Paul VI le nomme cardinal.
Méconnu en-dehors de la Pologne, Karol Wojtyla est apprécié dans son pays pour son sens des relations humaines, son courage et aussi sa vigueur de grand sportif, passionné de randonnées, d'alpinisme et de ski.
Karol Wojtyla prend le nom de Jean-Paul II, en hommage à ses trois prédécesseurs qui ont mis en oeuvre le concile de Vatican II (Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul Ier, ce dernier n'ayant exercé sa charge que pendant un mois).
D'une popularité sans égale, le nouveau pape conduit les Polonais et les autres peuples d'Europe orientale à se soulever contre le communisme en usant dès le dimanche 22 octobre 1978 de quelques mots forts : « N'ayez pas peur ! ».
Chemin de croix
Le 13 mai 1981, en plein bras de fer entre Moscou et le Vatican, le souverain pontife est victime d'un attentat, sur la place Saint-Pierre de Rome. Il est l'oeuvre d'un jeune fanatique turc, Ali Agça, qui n'en est pas à son premier forfait.
La police oriente son enquête vers les services secrets bulgares, eux-mêmes aux ordres du KGB, la police secrète soviétique. Mais elle ne peut apporter la preuve formelle de leur implication.
Jean-Paul II survit à l'attentat mais reste très affaibli et, dès lors, son pontificat prend l'allure d'un long chemin de croix.
Il parcourt le monde comme aucun pape avant lui, prêchant ici l'insoumission, là la justice, ailleurs le retour à la foi (104 voyages et 129 pays visités, Italie non comprise, au cours de ses 27 ans de pontificat).
Le 27 octobre 1986, il réunit à Assise 200 représentants de toutes les religions afin de prier ensemble. C'est l'« esprit d'Assise ».
Après l'implosion du système communiste européen, auquel il a beaucoup contribué, le pape se pose en gardien du dogme mais ne craint pas de faire repentance au nom de l'Église pour ses erreurs passées.
Dans la synagogue de Rome et à Jérusalem, devant le Mur occidental (le « Mur des Lamentations »), il amorce une spectaculaire réconciliation avec les représentants du judaïsme.
Dans les années 1990, malgré les premières atteintes de la maladie de Parkinson, il soulève l'enthousiasme de la jeunesse catholique occidentale à travers d'extraordinaires rassemblements, les Journées Mondiales de la Jeunesse...
Désillusion européenne
Il n'empêche que l'Église catholique voit sa situation s'effriter dans le monde. Elle est sévèrement concurrencée en Amérique latine et en Afrique par les églises évangéliques américaines. Elle est aussi perçue comme une rivale par le clergé orthodoxe de Russie et d'Ukraine.
La principale désillusion du pape vient du lent suicide de la chrétienté européenne (l'Europe représente environ 1/5 du milliard de personnes de tradition catholique et 1/4 des 1,8 milliard de chrétiens).
L'Église du Vieux Continent est tiraillée entre le remords d'avoir été autrefois dominatrice et la crainte de heurter les modes intellectuelles du moment. Introvertie, elle se cantonne dans l'assistanat social et l'humanitarisme.
Elle remise au placard la prédication et n'ose proposer une alternative aux individus livrés au consumérisme (primauté de la consommation, repli sur soi, intérêt pour les superstitions et les sectes...).
Beaucoup d'Européens, athées, protestants ou de tradition catholique ne veulent retenir du pape que ses appels à une morale sexuelle fondée sur l'amour, la fidélité ... et certains n'hésitent pas à lui prêter une responsabilité dans la propagation du sida chez des fidèles qui refuseraient le préservatif.
« Pour la première fois de l'histoire de l'humanité, il y a un homme qui vit comme si Dieu n'existait pas, c'est l'homme européen », déclare Jean-Paul II en 2000 à Rome au cours d'une réunion d'évêques européens (*).
Le pape jette deux ans plus tard un lucide regard sur l'histoire européenne du XXe siècle : « On ne peut pas oublier que c'est la négation de Dieu et de ses commandements qui a créé au siècle passé la tyrannie des idoles, exprimée dans la glorification d'une race, d'une classe, d'un parti, de l'État ou de la nation. Si l'on supprime les droits de Dieu, les droits de l'homme ne sont plus respectés».
Sa mort, le 2 avril 2005, à 21h37, dans ses appartements privés du Vatican, et ses funérailles, le 8 avril suivant, sont suivies en direct par les médias du monde entier et entraînent la mobilisation de millions de croyants... et même plus : Fidel Castro, qui avait noué une relation aussi amicale qu'inattendue avec le souverain pontife, va décréter un deuil de trois jours à Cuba !
Dans la foule massée sur la place Saint-Pierre, on voit de nombreuses pancartes : Santo Subito (« Qu'on le proclame saint sans attendre ! »). De fait, Jean-Paul II sera béatifié par son successeur dès le 1er mai 2011 et canonisé par le pape François dans un délai record le 27 avril 2014, en même temps que le pape Jean XXIII.
Jusque dans sa mort, Jean-Paul II aura rassemblé les foules et suscité la ferveur comme aucun pape avant lui. Sans guère de surprise, c'est le plus proche collaborateur qui est élu à sa succession. Il s'agit cette fois encore d'un non-Italien, l'Allemand Josef Ratzinger (78 ans). Il devient pape sous le nom de Benoît XVI.
André Larané
Publié ou mis à jour le : 2016-08-02 21:29:04
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