J’ai un souvenir étonnamment précis de cette visite. Jeune frère, en formation à Lille, j’étais allé fêter l’anniversaire d’une vieille sœur dominicaine. Toutes ces sœurs étaient retraitées, après une longue vie de labeur au service des plus pauvres, à faire des ménages, des courses, des lessives… Dans leur petit appartement, nous partageâmes un café (nous sommes dans le Nord !) et des biscuits. Beaucoup d’affection circulait entre les sœurs et nous. J’avais l’impression d’embrasser mes grands-mères. Des visages fatigués, des mains usées, mais des yeux vifs, joyeux. Toute une vie de service illuminait les regards. Après un peu de temps, une fois le café bu et les gâteaux engloutis, arriva le moment des cadeaux. Les sœurs n’offrirent pas à leur aînée une icône, un vêtement ou un livre, mais elles lui remirent une enveloppe avec de l’argent. J’étais un peu choqué. Bien sûr, on peut offrir de l’argent à quelqu’un pour qu’il puisse s’acheter ce qu’il veut plutôt que choisir pour lui au risque de se tromper et de ne pas lui faire totalement plaisir. Mais n’y a-t-il pas justement dans le choix du cadeau un lien plus intime qui manifeste que l’on connaît celui qu’on veut célébrer ? Le choix peut être difficile, mais s’il est bien fait, c’est l’occasion de prouver son affection, qui compte peut-être encore davantage que le cadeau lui-même. J’interrogeai discrètement une sœur et lui fis part de mon étonnement. ‒ Vous lui donnez de l’argent ?! Pourquoi pas plutôt un joli cadeau ? ‒ Mais c’est elle qui l’a demandé. Elle n’a jamais accepté de cadeau de toute sa vie. Elle a toujours réclamé qu’on lui offre de l’argent. ‒ Mais pourquoi ? Elle n’est tout de même pas aussi attachée à l’argent ! ‒ Mais non, voyons ! Cet argent, elle peut le donner aux pauvres. Je me suis retrouvé confus d’avoir imaginé que cette vieille sœur eût pu être intéressée par l’argent, honteux d’avoir été incapable d’imaginer combien elle vivait l’Évangile. J’y ai souvent repensé depuis. L’attitude de cette sœur aînée est devenue pour moi un repère, une balise précieuse. Elle me rappelle que la mesure de l’Évangile, c’est d’être sans mesure. On n’est jamais arrivé au bout. À chaque fois elle réveille et réactive mon ambition de conversion. Cette vieille sœur est décédée. Mais elle reste prophète pour moi. Et sans doute pour beaucoup. Frère Rémi Chéno Couvent du Caire Le frère Rémi Chéno est Régent des études dans la province dominicaine de France https://avent.retraitedanslaville.org/meditation/122?utm_campaign=meditation_02_12_2019&utm_medium=email&utm_source=newsletter | ||||||
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La fête des pauvres
Claire- Admin
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