Toutes les grandes Eglises appellent aux dons et à la prière pour les Japonais. Des pasteurs préviennent contre la mauvaise théologie.
N’attribuons pas cette catastrophe à Dieu.
La catastrophe au Japon est-elle un message de Dieu ? Sa punition ? Un signe précurseur de Son retour ? Telles sont les questions que les Eglises chrétiennes ne se posent pas. Pas officiellement. Pas en ce moment. Mais certains croyants, et pas seulement des chrétiens, tels des gens superstitieux, y succombent parfois. Et, inévitablement, certains les prononcent à haute voix. Parce qu’ils savent que ces questions nous interpellent et nous troublent, psychologiquement. Et contre toute raison. Ainsi Glenn Beck, leader du mouvement populiste Tea Party aux Etats-Unis. Il a été sévèrement critiqué aussi bien par les médias non confessionnels que par des pasteurs et énormément de chrétiens en général. Beck est mormon. Attribuant le tremblement de terre, le tsunami et la menace nucléaire à la volonté de Dieu, il explique notamment que Dieu pourrait être « en colère contre l’humanité ».
Même type de propos entendus chez des prédicateurs évangéliques marginaux qui sont convaincus qu’on assiste actuellement aux événements terribles décrits dans le livre de l’Apocalypse : tremblements de terre, guerres, terrorisme et toutes sortes de crises économiques, et … même l’importance croissante de l’Onu (dans certains milieux fondamentalistes américains, on pense que les organisations mondiales sont une sorte d’incarnation du diable car elles cherchent à concurrencer Dieu). Ainsi Greg Laurie, pasteur très populaire de la mégachurch Harvest Christian Fellowship à Riverside en Californie. Devant ses 15 000 membres, Laurie a déclaré dans sa prédication le 13 mars que les événements au Japon pourraient être des signes des catastrophes annonciatrices du retour de Jésus. C’est une idée dite « prémillénariste » : à en croire l’Apocalypse 20.6, Jésus devrait retourner pour régner pendant 1000 ans. Il faudrait seulement qu’il y ait plein de catastrophes avant…
Cette interprétation religieuse des événements n’est pas réservée aux lecteurs littéralistes de l’Apocalypse. Au Japon, le gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, qui est un shintoïste nationaliste, a expliqué que le tsunami est une « punition divine ». Son dieu voudrait ainsi mettre en cause « l’égoïsme » de son peuple. Comme c’est le cas de Beck et Laurie, le gouverneur n’a pas eu un grand succès populaire avec ces commentaires. Après avoir considérablement énervé bien de ses compatriotes, pourtant relativement calmes dans les circonstances actuelles, Ishihara a dû retirer ses mots et demander pardon.
Hélas, quelques leaders d’Eglises représentatives sont tombés dans le panneau.
Ainsi un des pasteurs évangéliques les plus connus au monde, le révérend sud-coréen David Yonggi Cho, fondateur de la Yoido Full Gospel Church, la plus grande mégachurch au monde, qui a mis en avant l’idée d’un « avertissement de Dieu ». Dans la News Mission, un site d’information, le 13 mars, le pasteur a déclaré ceci : « Parce que le peuple japonais défie Dieu au niveau de la foi et suit des idoles, l’athéisme et le matérialisme, je me demande si cela [la catastrophe] n’était pas un avertissement divin qui leur était adressé. »
Le pasteur a aussi insisté sur l’idée que « cette catastrophe pourrait être transformée en bénédiction » si les Japonais « profitaient de l’opportunité de retourner à Dieu ». Pour comprendre cette insistance, il faut savoir que le Japon n’a qu’une petite minorité de chrétiens (environ un million, dont un peu plus de la moitié des protestants, sur 127,5 millions d'habitants) contrairement à la Corée du Sud, où le christianisme est fortement implanté.
L’interview du pasteur Cho a suscité tellement de réactions négatives des visiteurs du site qu’elle a été retirée.
Comme c’est le plus souvent le cas dans ce type de débats, ce sont surtout les chrétiens qui réagissent. Pour eux, l’interprétation « apocalyptique » à la Cho n’est pas admissible. Elle consiste en effet à se mettre à la place de Dieu et justifier, en Son nom, des événements atroces : « Un tremblement de terre ? C’est la volonté de Dieu. Tant mieux, Jésus reviendra bientôt… » Bref.
Le premier devoir des chrétiens n’est pas de s’ériger en prophètes de malheur mais d’aider les victimes et de prier pour eux. C’est ce que font l’immense majorité des Eglises, notamment évangéliques, à travers le monde.
A ce titre, on peut se renseigner en se rendant sur le site de la grande église californienne (évangélique) du célèbre pasteur Rick Warren : saddleback.com. Elle intervient sur place au Japon. On peut aussi consulter ce message de la Fédération protestante de France du 18 mars. Vous pouvez aussi vous renseigner auprès de l’Eglise catholique, qui se mobilise massivement au Japon.
Mais revenons à la théologie et à l’interprétation biblique. Il nous semble urgent de rappeler quelques principes de base. Le premier est d’avoir un rapport sain à la réalité qui nous entoure avant d’interpréter quoi que ce soit dans la Bible. Ainsi, au sujet de la thèse du retour du Christ (donc le livre de l’Apocalypse), il faudrait que le tremblement de terre au Japon, à supposer qu’il soit vraiment un signe annonciateur, ait quelque chose d’absolument exceptionnel. Mais ce n’est pas le cas. Même si on envisageait le pire, le nombre de morts du séisme ne dépassera ni celui causé par le tsunami en 2004 ni celui du tremblement de terre en Haïti l’année dernière. D’autres catastrophes naturelles ont fait encore plus de victimes. Quant à l’ampleur du tremblement de terre - 8,9 – elle était énorme, bien sûr, mais pas plus forte que celui au Chili en 1960 (9,5), en Alaska en 1964 (9,2) ou Sumatra en 2004 (9,1).
Autre problème : aux effets directs, terribles, du séisme naturel, il faudrait maintenant ajouter les dégâts provoqués par les réacteurs endommagés à Fukushima. Cette catastrophe-là, nucléaire, est impossible à évaluer dans l’état actuel des choses. Mais on peut établir une chose : elle n’est pas une catastrophe vraiment naturelle, car elle est directement liée à la technologie humaine. Elle n’aurait pas eu lieu si l’homme n’avait pas eu l’idée d’exploiter l’uranium d’une façon dangereuse. Quelle serait donc la responsabilité directe de Dieu dans cette affaire ?
Et même si Dieu avait vraiment voulu nous avertir à travers cette catastrophe-là, quel autre message, quel autre « avertissement » que cette simple confirmation : oui, le nucléaire est vraiment dangereux ! Construire des centrales dans une zone sismique n’est pas faire preuve de sagesse. Car les risques encourus sont tout simplement inacceptables. Rappelons que Tchernobyl, à cause de plusieurs très grosses erreurs humaines, a fait quelques 25 000 morts. Personne ne peut dire aujourd’hui que la crise au Japon sera moins grave.
De la même façon, il est important de ne pas tomber dans le piège du catastrophisme millénariste de certains écologistes. Le nucléaire défaillant n’est pas, pas aujourd’hui en tout cas, la fin du monde. Dans sa forme militaire, on assiste à un démantèlement. Il n’y a pas de plus en plus de bombes nucléaires. Il y en a de moins en moins. Quant aux centrales nucléaires, plusieurs pays démocratiques essayent de s’en passer, car ils en ont peur : l’Allemagne, la Suède… Dans ces pays-là, on s’intéresse vraiment à l’écologie. Et depuis Fukushima, l’industrie nucléaire est mise en cause. En chiffres relatifs, la tendance mondiale n’est pas à la nucléarisation de la production énergétique.
Quant à l’idée, théologique, effectivement présente dans la Bible, que Dieu pourrait nous avertir à travers des catastrophes, il convient de rappeler au moins un enseignement de Jésus lui-même.
Il est dans l’évangile de Luc, chapitre 13, versets 1 à 5. Jésus y explique que des personnes victimes d’un désastre naturel ne sont pas de plus grands pécheurs que les autres. Il explique aussi, dans l’évangile de Matthieu, chapitre 5, verset 45, que Dieu « fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et il faut pleuvoir sur les justes et sur les injustes ».
Donc, l’idée que Dieu voudrait punir spécifiquement les Japonais – ou les Haïtiens l’année dernière – ne tient pas debout. Elle n’est pas biblique.
En revanche, le tremblement de terre et la catastrophe nucléaire pourraient nous rappeler – et cela nous semble évident – que nous vivons dans un monde marqué par notre éloignement de Dieu (le péché).
Mais nous n’avons pas à justifier le mal. Nous avons un Dieu de la vie. Il nous demande de choisir la vie. Et en ce moment, ce Dieu est en train de consoler ceux qui pleurent et ceux qui s’inquiètent.
Voilà ce dont nous pouvons être absolument sûrs.
HL
Cet article a été mis en ligne le 17 mars 2011.
dieu-et-moi.com