Je développerai ma réflexion en deux parties. Dans la première, j’analyserai ce qui constitue la destruction de l’humain et quelques facteurs principaux de cette destruction. Dans la deuxième partie, je répondrai à la question : qui reconstruit l’humain ?
La destruction de l’humain
Nous partons d’une page dramatique de l’Évangile : la trahison de Pierre. Nous la lisons dans la version de Marc (cf. Mc 14, 66-72).
En quoi consiste le reniement de Pierre ? La question de la servante le place face à un choix, un choix qui le concerne, lui et son identité dans sa relation avec Jésus. Deux possibilités s’ouvrent à la liberté de Pierre : affirmer ou nier la vérité sur lui-même. Pierre choisit de nier la vérité : « Je ne sais pas, je ne comprends pas de quoi tu parles » (v. 69). Pierre trahit la vérité.
Trahit-il uniquement la vérité ou se trahit-il lui-même ? Ne nie-t-il pas ce qu’il est lui-même ? En trahissant le Christ, il se trahit lui-même. Il ne se préserverait qu’en affirmant la vérité ; en témoignant de la vérité. Mais il est complètement terrorisé, et d’une peur telle qu’elle le pousse au parjure : « Il se livra alors à des imprécations ». En affirmant la vérité, il se serait sauvé lui-même, parce qu’il se serait élevé vers la vérité, lui qui est terrorisé.
Ce récit évangélique est le paradigme de toute autodestruction de l’humain. La question de la servante n’est que l’occasion donnée à Pierre de redécouvrir son identité, la vérité sur lui-même. Cette redécouverte est un acte de l’intelligence de Pierre : à ce moment, il prend conscience qu’il est disciple de Jésus. Et en même temps cette conscience provoque, interpelle sa liberté dans le témoignage de la vérité. C’est une vérité qui fait naître un impératif qui concerne Pierre, et ne concerne que lui. Pierre n’est pas en discussion sur la nature du disciple, du fait de suivre Jésus. Il se retrouve comme emprisonné dans la vérité connue, la vérité sur lui-même.
Nous savons que Pierre a trahi, et pleure. Il a été l’auteur, la victime et le témoin de la prévarication contre la vérité. Dans une situation similaire, Judas estima qu’il n’était plus digne de vivre et se pendit. « L’homme est lui-même à travers la vérité. Sa relation à la vérité décide de son humanité et constitue la dignité de sa personne », nous dit Karol Wojtyla (dans Le signe de contradiction). Nous pouvons donc dire que la destruction de l’humain réside dans la négation, par l’usage de notre liberté, de ce que notre raison a reconnu comme étant le vrai bien de la personne. En termes théologiques, il s’agit du péché. Ovide n’avait-il pas écrit : « Video meliora proboque deteriora sequor » ? (« Je vois le bien, je l’approuve et je fais le mal ».)
La destruction de l’humain a donc le caractère de la lacération de sa propre subjectivité. Et elle a également celui du mensonge : elle construit un humain falsifié, tant sur le plan personnel que social. Nul sans doute n’a mieux décrit que Pirandello, avec tant de profondeur et de sens tragique, la vie et la société humaine ainsi édifiées, comme une mascarade.
L’homme ne peut vivre dans une maison sans portes ni fenêtres ; il vit au sein d’une culture et respire un « esprit des temps » qui, soutenus de nos jours par de puissants moyens d’obtention de consensus, en viennent à favoriser très souvent des facteurs destructeurs de l’humain. (…) Je me limiterais à l’étude de deux d’entre eux : la falsification de la conscience morale et le divorce entre liberté et vérité.
Le premier facteur destructeur de l’humain est la falsification qu’a subie la conscience morale dans la culture occidentale, se trouvant réduite progressivement, comme l’avait déjà entrevu John Henry Newman il y a plus d’un siècle, au droit de penser, de parler et d’écrire selon son propre jugement ou ses propres humeurs. Dire aujourd’hui « Ma conscience me dit que… » signifie simplement dans la communication actuelle : « je pense que… je désire que… j’aime que… ».
Posons-nous alors deux questions : en quoi consiste précisément cette falsification ? En quoi est-elle un facteur dévastateur de l’humain ?
– Elle consiste à échanger, confondre l’affirmation que l’obligation morale est produite dans et par la conscience par l’affirmation que l’obligation morale naît de la conscience. Elle consiste dans la confusion entre la fonction de manifestation [de la vérité en matière de bien] de la conscience avec la fonction constitutive propre de la raison, en tant que participation à la Sagesse divine.
– La falsification de la conscience morale est un facteur destructeur, et hautement destructeur, de l’humain, parce qu’elle détruit à sa source le rapport originel de la personne humaine avec Dieu Créateur. Elle voile la splendeur de la parole originelle que Dieu adresse à l’homme, en tant que son guide.
Pour mesurer à quel point la falsification de la conscience morale est dévastatrice pour l’homme, il est nécessaire, avant tout, d’en saisir la véritable nature. Et il y eut deux grands maîtres en ce domaine : Socrate et saint Paul.
Voyons tout d’abord que par le jugement – ce en quoi consiste précisément la conscience – l’homme découvre non une vérité morale quelconque, mais une vérité inhérente à l’acte qu’il va poser (ou qu’il a posé). Il s’agit d’une vérité qui concerne la personne dans sa singularité, en tant que sujet qui va accomplir une action : la conscience lui fait connaître précisément la vérité morale de cette action, autrement dit sa bonté ou malice morale. Il est alors logique de se demander : comment peut-il connaître cette vérité ? Comment se bâtit ce jugement, en lequel consiste précisément la conscience morale ?
De la réponse à cette question dépend, en définitive, toute notre conception de la conscience. Nous devons partir de notre expérience quotidienne qui nous atteste que le jugement de la conscience possède une force tout à fait singulière ; celle d’obliger absolument et non seulement hypothétiquement, notre décision, notre liberté. Et c’est de fait si clair pour tous que parler de « conscience » et de « se sentir obligé de… » revient pratiquement au même. Mais ce qui est intéressant surtout, c’est de remarquer et de comprendre sa nature, la forme tout à fait singulière de cette obligation. Il est certain en effet qu’en un certain sens, tout jugement de notre raison exige un certain comportement et, donc, certaines décisions de la volonté. Si nous savons qu’un aliment nuit à notre santé, nous décidons généralement de ne pas en consommer ; si nous savons qu’il fait froid dehors, nous décidons logiquement de nous couvrir. Et ainsi de suite. Cependant, ces jugements de notre raison – et d’autres jugements – exigent un comportement cohérent, mais seulement hypothétiquement : si tu veux être en bonne santé, sachant que cet aliment…, si tu ne veux pas avoir une bronchite, sachant que le climat… mais si nous prêtons attention au jugement de notre conscience, nous voyons que l’obligation qu’il fait naître est essentiellement de nature différente. L’obligation n’est pas suspendue à un « si » : il ne dépend de rien. Il s’impose, immédiatement par lui-même à la liberté de l’homme. La conscience dit absolument : tu dois poser cet acte ; tu ne dois pas poser cet acte. La voix de la conscience place la liberté de l’homme face à un absolu : un devoir absolu.
Nous nous trouvons ainsi dans une situation intérieure très singulière. En effet, d’une part, la personne humaine ne se sent obligée que par ce jugement de la conscience ; ce n’est que face à ce jugement, celui de la conscience, que la liberté se sent absolument obligée. D’autre part, ce jugement est l’acte d’une personne particulière, du sujet : et elle n’est que le sien. Comment est-il possible que la personne par un acte propre se sente obligée si profondément, si étroitement, qu’elle ne puisse par un acte contraire, se délier ? C’est un de ses actes – un acte de sa raison – qui a lié sa liberté. Par un de ses actes – un acte de sa raison – elle la délie : Sancho Panza reconnaît qu’il mérite d’être puni, mais demande à ce que ce soit lui qui se donne le bâton ! Le grand Cervantes avait parfaitement saisi la déformation de la conscience.
La réalité de notre expérience intérieure nous atteste clairement que cela n’arrive pas. L’homme ne peut se dispenser de l’obligation que lui impose le jugement de la conscience : l’expérience universelle du remords le prouve. Cette impossibilité nous pousse à une réflexion plus profonde sur la conscience morale.
Le fait que l’homme sente qu’il ne peut se dispenser lui-même de l’obligation de sa propre conscience démontre que le jugement de cette dernière fait connaître à la personne une vérité qui lui est préexistante. Une vérité, donc, qui n’est pas vraie parce que notre conscience la connaît, mais, au contraire, que notre conscience connaît parce que cette vérité existe. En somme, ce n’est pas la vérité qui dépend de la conscience, mais la conscience qui dépend de la vérité. Quelle vérité ? Cette vérité à la lumière de laquelle et grâce à laquelle « cet acte est bon et doit être posé » ou « cet acte est illicite et doit être évité ». Et nous arrivons là à une conclusion très importante : puisque l’homme n’est obligé que par le jugement de sa propre conscience (= auto-nomie) ; puisque le jugement de sa propre conscience oblige en ce qu’il fait connaître la vérité, ainsi l’homme est autonome lorsqu’il est soumis à la vérité. Son autonomie réside dans sa subordination à la vérité.
Mais il nous faut brièvement réfléchir sur la vérité connue par le jugement de notre conscience. De quelle vérité s’agit-il ? Puisque la conscience est un jugement sur notre action sous l’aspect moral, il s’agit d’une vérité pratique (qui concerne l’agir humain), d’une vérité sur le bien et sur le mal de notre agir. Le jugement de ma conscience découvre dans l’acte que je m’apprête à poser (ou que j’ai posé) – ou du fait de sa structure même ou du fait des circonstances où il est posé – un rapport avec un ordre par la force duquel « iustum est ut omnia sint ordinatissima » (saint Augustin, De libero arbitrio, 1, 6, 15) : un ordre intrinsèque à l’univers même de l’être. Si je découvre que le rapport de l’acte que je m’apprête à poser est un rapport de contrariété : si ma conscience voit que cet acte est contraire à cet ordre ; que cet acte enfreint ou dégrade cet ordre, il doit être évité, en raison précisément de sa difformité. La conscience morale connaît cet ordre de l’être en tant qu’il est respecté ou nié par l’acte que je m’apprête à poser. Et, par conséquent, le jugement de la conscience – et cette considération requiert beaucoup d’attention – est la convergence, le point de rencontre, la synthèse de la connaissance de l’ordre intrinsèque à l’être avec la connaissance de l’acte que je vais poser. Cet ordre intrinsèque à l’être n’est rien d’autre que l’ordre de la Sagesse créatrice de Dieu, par laquelle et dans laquelle a été créé tout ce qui a été créé.
Mais comment l’homme peut-il connaître cet ordre, cette « rectitude ontologique » ? Cette capacité humaine est précisément ce que nous appelons raison humaine. Elle est, par conséquent, ce qui rend l’homme participant de la Sagesse même de Dieu : le sceau imprimé en l’homme – et uniquement en l’homme – par la main créatrice de Dieu. Par la raison, l’homme connaît cet ordre qui constitue la beauté, la bonté de l’être. Et c’est à la lumière de cette connaissance que la conscience peut découvrir si l’action que la personne pense accomplir s’inscrit dans cet ordre : dans cette beauté, dans cette bonté. Dire que cet ordre est créé, constitué par la raison humaine, et non simplement découvert par elle, revient à nier simplement un fait dont notre expérience est le témoin permanent. Quand, par notre raison, nous découvrons cette beauté, cet ordre, et ses exigences immuables, « non examinator corrigit, sed tantum laetatur inventor » comme l’écrit profondément saint Augustin (op. cit., 2, 12, 34), « elle ne (les) juge pas en arbitre, mais se réjouit de les avoir découvertes ».
La conscience morale, comme on peut le constater, est le lieu où Dieu adresse sa parole première, originelle, permanente à l’homme : le lieu où Dieu se révèle comme le guide de l’homme. Éteignez cette lumière et l’homme perdra la vue.
Nous pouvons maintenant mieux saisir en quoi consiste la falsification de la conscience. Elle est sortie de la Sagesse divine, et son jugement est ultime et sans appel. Sancho Panza qui se donne lui-même le bâton.
Le second facteur est le divorce de la liberté et de la vérité (sur le bien). En quoi consiste l’admirable union de la liberté et de la vérité ? Quelle est la nature de ce lien ?
Nous devons d’abord préciser que nous ne parlons pas de vérité en général. Nous traitons ici de la vérité pratique, comme nous l’avons déjà dit, à savoir de la vérité sur le bien/le mal de la personne humaine en tant que telle. Lorsque je dis « 2 + 2 = 4 » je dis la vérité, mais je n’affirme pas une vérité pratique. Pratique signifie qu’il s’agit d’une vérité qui doit être réalisée, accomplie dans et par l’acte de la personne. La vérité demande avec force à être accomplie. Elle est en moi ; si je la refuse, je me refuse moi-même.
Il n’est pas difficile alors de voir le rapport vérité-liberté : la vérité est le projet de la construction de l’humain ; mais aucune construction de l’humain n’est possible si elle n’est accomplie par la liberté. Il s’agirait alors, par définition, d’une construction inhumaine. La personne se construit, « se libère non seulement et non principalement par le fait qu’en connaissant la vérité sur soi, on la reconnaît comme vérité par la simple force de sa connaissance. Elle se libère quand… on s’identifie avec elle jusqu’au bout, en la choisissant par l’acte de la liberté… quand “elle fait la vérité” » [Karol Wojtyla]. Jésus a affirmé : « Non celui qui dit Seigneur, Seigneur, mais celui qui fait la volonté de mon Père ».
Il y a donc une cohésion essentielle entre personne, acte de la personne et vérité : c’est le résultat de la connaissance morale. Et il existe une cohésion existentielle, réalisée ou niée par l’acte libre. En ce sens, Kierkegaard a raison quand il écrit que la vérité est subjectivité.
Du fait de processus culturels longs et complexes, le lien entre vérité et liberté est aujourd’hui rompu : soit l’on affirme une vérité sans liberté, soit une liberté privée de vérité. Cette double affirmation peut se vérifier dans l’idéologie écologiste, dans la vision contemporaine de la sexualité, dans la doctrine économique, dans la réduction du droit à une simple technique normative. Un homme sans vérité est condamné à la liberté et sera bien satisfait de la remettre au puissant du moment (le Grand Inquisiteur de Dostoïevski). Un homme sans liberté devient une trace dans le sable, tracée et effacée par un destin inexorable et impersonnel – « qui préside au malheur universel », dirait Leopardi.
Qui reconstruit l’humain ?
Je commencerai la seconde partie de ma réflexion par une métaphore.
Deux personnes marchent sur la berge d’un fleuve en crue. L’un sait nager, l’autre non. Ce dernier tombe à l’eau, et le courant l’emporte. Son ami a trois possibilités à sa disposition : lui apprendre à nager ; lui lancer une corde en l’exhortant à bien s’y agripper ; se jeter à l’eau, attraper le malheureux et le ramener sur la rive.
Laquelle de ces voies a choisi le Verbe incarné en voyant l’homme entraîné vers son autodestruction ? La première, répondirent les Pélagiens, et répondent encore tous ceux qui réduisent l’évènement chrétien à une exhortation morale. La deuxième, répondirent les semi-pélagiens, et répondent encore tous ceux qui considèrent la grâce et la liberté comme deux forces inversement proportionnelles. La troisième, enseigne l’Église : le Verbe, ne considérant pas Sa condition divine comme un trésor à garder jalousement, se jeta dans le courant du mal pour se saisir de l’homme et le porter sur la rive. Voilà ce qu’est l’évènement chrétien.
Posons-nous la question : à quelle profondeur la reconstruction de l’homme doit-elle commencer ? Là où se rencontre vérité et liberté. Le mal de la personne humaine en tant que tel est le mal moral, puisqu’il touche le sujet personnel. La reconstruction de l’humain doit commencer à ce niveau. Sinon, elle ne sera qu’une simple chirurgie esthétique. L’acte rédempteur du Christ, accompli une fois pour toutes sur la Croix, et sacramentellement toujours présent et opérant dans l’Église, guérit précisément cette lacération du sujet d’où provient la dévastation de l’humain. Et c’est là le sens de l’existence de l’Église : elle est là pour rendre présent ici et maintenant l’acte rédempteur du Christ. « Rappelle-toi que Jésus-Christ… est ressuscité des morts » (2 Tm 2, 8) écrit Paul à son disciple Timothée. Malheur si la mémoire de l’Église contient autre chose !
Mais en quoi consiste précisément la reconstruction de l’humain, opérée par l’acte rédempteur du Christ au moyen de l’Église ? La théologie l’appelle « justification du pécheur ». C’est l’opération que Dieu accomplit par le don de l’Esprit dans la personne qui devant Lui se reconnaît injuste. Écoutez ce qu’écrit le bienheureux Antonio Rosmini. « L’opération de Dieu en l’homme, cette opération de grâce est un dogme du christianisme ; c’est à proprement parler le dogme fondamental sur lequel s’appuie le christianisme lui-même, comme sur sa base,… c’est son essence, religion surnaturelle ». (Anthropologie surnaturelle, Opere, vol. 39). Qui reconstruit l’humain ? La grâce du Christ. Il faut le répéter, clairement : c’est là le christianisme.
Le Seigneur Ressuscité a une relation réelle avec le monde, relation qui requiert, chez les disciples, d’être traduite dans la pratique chrétienne. Cette relation réelle s’actualise chaque fois que nous célébrons un sacrement de la foi. Les sacrements sont l’avènement cultuel de la présence corporelle du Christ dans notre monde.
Je voudrais maintenant reprendre brièvement le concept que je viens de formuler : transposer dans la pratique cette relation du Christ avec la personne et avec le monde. Je n’exposerais que quelques réflexions générales.
– Il est d’une urgence dramatique que l’Église mette fin au silence qui entoure le surnaturel. Plus l’Église se conforme au monde, plus s’obscurcissent dans la conscience du peuple chrétien la vérité du péché originel et la foi dans la nécessité de la Rédemption : les deux pivots autour desquels s’articule toute la proposition chrétienne.
– Il est nécessaire de donner à la raison sa dignité royale. Une foi proclamée mais non interrogée ne suffit pas, une foi affirmée mais non pensée n’est pas suffisante. Ce que j’ai nommé « transposition du rapport réel du Christ avec le monde dans la pratique du disciple » est en grande partie une œuvre de la droite raison. Sur ce point également les Pères de l’Église sont exemplaires.
– Dernier point et non des moindres : il est urgent de proposer clairement, de façon nette, une véritable éducation chrétienne des enfants et des jeunes.
Conclusion
Au moment de conclure, je voudrais faire une constatation. Tout ce qui constitue ce que l’on appelle « la civilisation occidentale » conduit à l’athéisme ou du moins à l’expulsion de la religion de l’horizon de la vie. En deux mots, il s’agit d’une civilisation athée et immanentiste. La falsification subie par le concept et l’expérience de la conscience morale en est le symptôme pathologique le plus évidemment diagnosticable.
Partant de ce constat, voici la première réflexion de ma conclusion. L’Église a pour devoir premier de dénoncer cette destruction de l’humain née de l’expulsion de Dieu de l’horizon de la vie. « L’Église doit dénoncer la rébellion [= construction de la personne sans Dieu] comme le plus grave de tous les maux possibles. Elle ne peut manquer à ses engagements, si elle veut rester fidèle à son Maître ; elle doit la bannir et l’anathématiser » (John Henry Newman, Apologia pro vita sua). Ce serait manquer gravement à sa mission que de parler souvent d’autre chose et exhorter à autre chose, dans le but de s’assurer le consensus du monde.
La seconde réflexion de ma conclusion : Pascal dit que personne n’a aussi mal parlé de l’homme et personne n’en a si bien parlé que le christianisme. Et par conséquent les mesures extérieures, comme la prédication et l’enseignement, tout en étant nécessaires, ne sont pas suffisantes. Il faut une force régénératrice, qui vient d’en haut par l’intermédiaire de l’Église. La véritable reconstruction de l’humain doit partir des sources mêmes de la pensée et de l’agir libre ; c’est-à-dire de la substance même du moi. En bref, nous vivons une période de combat que nul ne peut déserter, car chacun de nous a au moins une de ces trois armes à sa disposition : la prière, la parole, la plume. Un combat à mener dans la paix, car souvenez-vous que « les doux posséderont la terre ».
Cardinal Carlo Caffarra
Cardinal archevêque de Bologne (1938-2017)