jeudi 20 août 2015
© Fournis par Le Figaro Steve Maman avec Stephen Harper, le premier ministre canadien.
Steve Maman, l'homme d'affaires qui rachète les esclaves sexuels de l'État islamique
Ce Montréalais affirme avoir déjà sauvé 128 femmes et enfants, issues des minorités yazidies et chrétiennes. Chaque libération coûterait entre 1500 et 2000 euros.
Depuis quelques jours, la presse canadienne relaie l'étonnante initiative de Steve Maman. Cet homme d'affaires canadien s'est mis en tête de libérer des esclaves sexuelles, issues des minorités yazidies et chrétiennes, et capturées par le groupe terroriste Etat islamique (EI). Contacté par Le Figaro, le Montréalais affirme avoir financé grâce à sa fortune personnelle une centaine de libérations. Souhaitant aller plus loin, il a lancé un appel aux dons en juin dernier. Depuis, une trentaine d'autres enfants ont été libérés.
Ce vendeur de voitures de collection s'est lancé dans cette opération fin 2014. Le père de famille d'origine marocaine et de confession juive découvre à cette époque l'horreur que vivent les enfants et les femmes prisonniers de l'État islamique. «Je me souviens très bien de ce soir-là, nous confie Steve Maman. J'étais devant mon ordinateur et je suis tombé sur une photo d'enfants emprisonnés dans une cage. Je venais de voir le film ‘La liste de Schindler', qui raconte l'histoire de cet industriel allemand qui a sauvé 1200 juifs pendant la seconde guerre mondiale. À ce moment-là, je me suis dit que je devais agir».
Entre 1500 et 2000 euros pour libérer un otage
Voyant la progression du groupe terroriste en Irak et en Syrie, Steve Maman décide dans un premier temps d'aider trois familles chrétiennes, dont le village se trouve sur le chemin de l'État islamique. Aidé du révérend Canon Andrew White, qu'il a rencontré au gré de ses voyages d'affaires, il parvient à les faire sortir d'Irak et à les mettre en sécurité en Turquie. Il tient à les faire venir au Canada en tant que réfugiés. Mais l'opération s'avère compliquée et coûteuse. «Je me suis dit qu'à l'avenir, il fallait mieux se contenter de les sortir des territoires de l'État islamique et de les aider à retrouver leurs familles».
Pour ce faire, Steve Maman dit s'appuyer sur une équipe basée en Irak, en partie composée de négociateurs d'otages. Ces derniers sont en contact avec «des intermédiaires, à l'intérieur du ‘Califat' et font en sorte de libérer femmes et enfants». «Ils négocient directement avec les combattants d'État islamique et les civils qui détiennent les esclaves sexuels», poursuit-il. Comment? «Honnêtement, je ne le sais pas, et je ne veux surtout pas le savoir», nous répond-il. L'opération coûte entre 1500 et 2000 euros par personne libérée. «De quoi couvrir les frais pour protéger les personnes impliquées dans l'opération et pour éventuellement rémunérer les ‘propriétaires d'esclaves'», justifie-t-il.
128 femmes et enfants sauvés
Les libérations se passent en présence de témoins gouvernementaux du Kurdistan, assure-t-il. «On filme, on prend des photos pour garder une trace de notre action», explique encore le Montréalais, images et vidéos à l'appui. Sur l'une d'entre elles, on voit une jeune femme retrouver son père, tous deux en pleurs. Les enfants sont ensuite interrogés par son équipe et par des travailleurs humanitaires. «On leur fait remplir un formulaire, on leur demande de nous raconter leur histoire et on prélève leurs empreintes digitales», explique encore Steve Maman. Enfin, «leurs noms sont ensuite enregistrés au ‘bureau du génocide'». Situé à Dahuk, dans les montagnes du Kurdistan irakien, le Bureau des questions relatives aux otages tente depuis fin 2014 d'identifier, de libérer et d'insérer les yazidis kidnappés par l'État islamique. «En passant par cette administration kurde, on officialise la libération d'une personne et on s'assure de son identité grâce au registre tenu par ce bureau», justifie M. Maman.
Environ 3000 personnes seraient encore entre les griffes de l'État islamique. Un document récemment dévoilé par l'Onu fait état des prix des esclaves sexuelles. On sait désormais que les enfants de 1 à 9 ans valent 150 euros en moyenne. Que les esclaves féminines de 10 à 20 ans sont vendues environ 110 euros. En juin dernier, Steve Maman a fondé l'organisme sans but lucratif CYCI (Liberation of Christian and Yazidi Children of Iraq) et lancé un appel aux dons via la plateforme de financement participatif Gofundme. Ouverte le 5 juillet dernier, cette cagnotte en ligne affichait ce mercredi un montant dépassant les 450.000 dollars (406.000 euros).
À ce jour, Steve Maman dit avoir sauvé 128 femmes et enfants, âgés de 3 à 35 ans. A-t-il le soutien du gouvernement canadien? «Ils apprécient mon action, mais je n'ai aucun soutien financier, ni militaire», nous répond-t-il, avant de préciser qu'il a déjà rencontré le premier ministre canadien Stephen Harper et Zainab Bangura, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, chargée de la question des violences sexuelles liées aux conflits armés.
Une initiative controversée
Si son initiative est souvent saluée, des voix s'élèvent et l'accusent de financer l'État islamique. À Montréal, le milieu universitaire s'interroge sur la méthode employée. «Plusieurs régimes occidentaux se demandent si c'est la chose à faire puisque quand on commence, ça ne finit plus, souligne Frédéric Castel, géographe à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Et même pour des kidnappings d'otages en nombre de quelques dizaines, on est déjà contre. Qu'est-ce que ça va être quand on est avec des milliers?», demande l'enseignant, interrogé par le site d'informations La Presse .
En France, le directeur du Centre d'analyse du terrorisme (CAT) Jean-Charles Brisard se montre tout aussi sceptique. «En versant de l'argent contre la libération d'otages, je pense que cette initiative privée fait le jeu d'EI», commente-t-il, ajoutant que les rançons représentent 10% du financement de l'État islamique. «Ce qui est loin d'être négligeable!» Pour Natalie Maroun, analyste à l'Observatoire international des crises, la question est davantage morale: «Est-ce que c'est normal d'acheter un enfant pour le libérer, à l'heure où l'esclavage est aboli?»
Le Figaro
© Fournis par Le Figaro Steve Maman avec Stephen Harper, le premier ministre canadien.
Steve Maman, l'homme d'affaires qui rachète les esclaves sexuels de l'État islamique
Ce Montréalais affirme avoir déjà sauvé 128 femmes et enfants, issues des minorités yazidies et chrétiennes. Chaque libération coûterait entre 1500 et 2000 euros.
Depuis quelques jours, la presse canadienne relaie l'étonnante initiative de Steve Maman. Cet homme d'affaires canadien s'est mis en tête de libérer des esclaves sexuelles, issues des minorités yazidies et chrétiennes, et capturées par le groupe terroriste Etat islamique (EI). Contacté par Le Figaro, le Montréalais affirme avoir financé grâce à sa fortune personnelle une centaine de libérations. Souhaitant aller plus loin, il a lancé un appel aux dons en juin dernier. Depuis, une trentaine d'autres enfants ont été libérés.
Ce vendeur de voitures de collection s'est lancé dans cette opération fin 2014. Le père de famille d'origine marocaine et de confession juive découvre à cette époque l'horreur que vivent les enfants et les femmes prisonniers de l'État islamique. «Je me souviens très bien de ce soir-là, nous confie Steve Maman. J'étais devant mon ordinateur et je suis tombé sur une photo d'enfants emprisonnés dans une cage. Je venais de voir le film ‘La liste de Schindler', qui raconte l'histoire de cet industriel allemand qui a sauvé 1200 juifs pendant la seconde guerre mondiale. À ce moment-là, je me suis dit que je devais agir».
Entre 1500 et 2000 euros pour libérer un otage
Voyant la progression du groupe terroriste en Irak et en Syrie, Steve Maman décide dans un premier temps d'aider trois familles chrétiennes, dont le village se trouve sur le chemin de l'État islamique. Aidé du révérend Canon Andrew White, qu'il a rencontré au gré de ses voyages d'affaires, il parvient à les faire sortir d'Irak et à les mettre en sécurité en Turquie. Il tient à les faire venir au Canada en tant que réfugiés. Mais l'opération s'avère compliquée et coûteuse. «Je me suis dit qu'à l'avenir, il fallait mieux se contenter de les sortir des territoires de l'État islamique et de les aider à retrouver leurs familles».
Pour ce faire, Steve Maman dit s'appuyer sur une équipe basée en Irak, en partie composée de négociateurs d'otages. Ces derniers sont en contact avec «des intermédiaires, à l'intérieur du ‘Califat' et font en sorte de libérer femmes et enfants». «Ils négocient directement avec les combattants d'État islamique et les civils qui détiennent les esclaves sexuels», poursuit-il. Comment? «Honnêtement, je ne le sais pas, et je ne veux surtout pas le savoir», nous répond-il. L'opération coûte entre 1500 et 2000 euros par personne libérée. «De quoi couvrir les frais pour protéger les personnes impliquées dans l'opération et pour éventuellement rémunérer les ‘propriétaires d'esclaves'», justifie-t-il.
128 femmes et enfants sauvés
Les libérations se passent en présence de témoins gouvernementaux du Kurdistan, assure-t-il. «On filme, on prend des photos pour garder une trace de notre action», explique encore le Montréalais, images et vidéos à l'appui. Sur l'une d'entre elles, on voit une jeune femme retrouver son père, tous deux en pleurs. Les enfants sont ensuite interrogés par son équipe et par des travailleurs humanitaires. «On leur fait remplir un formulaire, on leur demande de nous raconter leur histoire et on prélève leurs empreintes digitales», explique encore Steve Maman. Enfin, «leurs noms sont ensuite enregistrés au ‘bureau du génocide'». Situé à Dahuk, dans les montagnes du Kurdistan irakien, le Bureau des questions relatives aux otages tente depuis fin 2014 d'identifier, de libérer et d'insérer les yazidis kidnappés par l'État islamique. «En passant par cette administration kurde, on officialise la libération d'une personne et on s'assure de son identité grâce au registre tenu par ce bureau», justifie M. Maman.
Environ 3000 personnes seraient encore entre les griffes de l'État islamique. Un document récemment dévoilé par l'Onu fait état des prix des esclaves sexuelles. On sait désormais que les enfants de 1 à 9 ans valent 150 euros en moyenne. Que les esclaves féminines de 10 à 20 ans sont vendues environ 110 euros. En juin dernier, Steve Maman a fondé l'organisme sans but lucratif CYCI (Liberation of Christian and Yazidi Children of Iraq) et lancé un appel aux dons via la plateforme de financement participatif Gofundme. Ouverte le 5 juillet dernier, cette cagnotte en ligne affichait ce mercredi un montant dépassant les 450.000 dollars (406.000 euros).
À ce jour, Steve Maman dit avoir sauvé 128 femmes et enfants, âgés de 3 à 35 ans. A-t-il le soutien du gouvernement canadien? «Ils apprécient mon action, mais je n'ai aucun soutien financier, ni militaire», nous répond-t-il, avant de préciser qu'il a déjà rencontré le premier ministre canadien Stephen Harper et Zainab Bangura, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, chargée de la question des violences sexuelles liées aux conflits armés.
Une initiative controversée
Si son initiative est souvent saluée, des voix s'élèvent et l'accusent de financer l'État islamique. À Montréal, le milieu universitaire s'interroge sur la méthode employée. «Plusieurs régimes occidentaux se demandent si c'est la chose à faire puisque quand on commence, ça ne finit plus, souligne Frédéric Castel, géographe à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Et même pour des kidnappings d'otages en nombre de quelques dizaines, on est déjà contre. Qu'est-ce que ça va être quand on est avec des milliers?», demande l'enseignant, interrogé par le site d'informations La Presse .
En France, le directeur du Centre d'analyse du terrorisme (CAT) Jean-Charles Brisard se montre tout aussi sceptique. «En versant de l'argent contre la libération d'otages, je pense que cette initiative privée fait le jeu d'EI», commente-t-il, ajoutant que les rançons représentent 10% du financement de l'État islamique. «Ce qui est loin d'être négligeable!» Pour Natalie Maroun, analyste à l'Observatoire international des crises, la question est davantage morale: «Est-ce que c'est normal d'acheter un enfant pour le libérer, à l'heure où l'esclavage est aboli?»
Le Figaro