« Quand je pense à Daesh, je prie pour que Dieu leur pardonne »
Difficile d’entendre ces mots. Et pourtant Soleen y tient ! Nous avions fait sa rencontre à Grenoble à l’occasion d’un stage de français organisé par le Centre Lanfrey. Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur l’incroyable parcours qui a mené cette jeune femme de 17 ans à fuir son Irak natal avec sa famille.
La vie heureuse
Cinq frères et sœurs âgés de 7 à 31 ans, de très nombreuses amies, une scolarité sans encombres, de la danse orientale, du volley et le rêve de devenir un jour pharmacienne… Jusqu’à ses 16 ans, la vie de Soleen ressemblait à celles de beaucoup de filles de son âge.
Née à Karakoch en Irak le 19 juillet 1998 dans une famille chrétienne, Soleen a grandi dans une ambiance où l’on parlait araméen à la maison et où la foi se vivait au quotidien, dans les foyers comme dans la ville. « Lors de chaque fête religieuse, tout le monde descendait dans la rue ou montait sur les toits des maisons pour suivre les processions ou assister à la Messe célébrée sur les parvis des églises et diffusée par haut parleur dans tout Karakoch », se souvient la jeune fille.
Karakoch
Bonne élève - sans trop avoir à travailler, reconnaît-elle - Soleen suit en maternelle sa scolarité dans une école tenue par des religieuses, puis dans une école publique de filles. « Comme dans toutes les écoles publiques, nous avions des cours de religion selon la religion des élèves ». Arrivée au lycée, elle fait le choix d’entrer en seconde scientifique pour atteindre son objectif et devenir un jour pharmacienne. L’avenir était alors grand ouvert.
L’arrivée des islamistes
Pourtant, au cours de l’année 2014, la vie de Soleen bascule comme celle de milliers de chrétiens d’Irak. Le 9 juin : les soldats de Daesh entrent à Mossoul, la deuxième ville d’Irak. Aux chrétiens et aux juifs de la ville, ils ne laissent alors qu’un choix : se convertir à l’Islam ou devenir Dhimmi. Nom donné par les musulmans à un chrétien ou un juif vivant dans un pays où la religion d’Etat est l’Islam, le Dhimmi est toléré mais considéré comme un citoyen de seconde catégorie. Le chrétien devenu Dhimmi est ainsi autorisé à vivre sa foi mais sans que cela ne se voie. Il ne peut plus travailler et doit payer un impôt fixé à 250 euros mensuel par Daesh. Les églises sont fermées, les Messes interdites. Menacés de décapitation s’ils ne se soumettent pas à cette nouvelle règle, les chrétiens de Mossoul décident de fuir et d’aller se réfugier à Karakoch. Mais le 6 août, après avoir pilonné la ville à plusieurs reprises, Daesh entre dans Karakoch.
Laissant tout, tout ce qui faisait leur vie, les parents de Soleen prennent à leur tour la fuite avec leurs quatre enfants et leur grand-mère pour se rendre à Erbil, ville du Kurdistan irakien située à une soixantaine de kilomètres. «Nous avions la chance d’être en voiture alors que d’autres ont dû prendre la fuite à pieds sous une température avoisinant les 55°C. Il nous a pourtant fallu une journée pour atteindre notre destination. A notre arrivée, l’accès de la ville avait été bloqué par peur des islamistes. Dieu merci, nous avons finalement pu passer grâce à la force de persuasion d’un prêtre soutenu par la prière de toutes personnes en détresse cherchant à fuir Daesh ». Erbil a alors été submergée par un flot ininterrompu de familles. Parcs, terrains vagues, cours d’écoles, gymnases, immeubles en construction : tous les espaces disponibles ont été investis. « Au centre des campements, les familles plaçaient les images de la Vierge qu’elles avaient pu emporter avec elles ».
La foi mise à l’épreuve
Jamais jusque là Soleen n’avait douté dans sa foi. Pourtant ce jour là, pour la première fois - et pour l’unique fois de sa vie - elle perdit la confiance en Dieu. « Je me souviens avoir dit à ma mère que Dieu nous avait abandonnés. Ma mère m’a alors répondu que non, qu’Il ne nous avait pas abandonnés, qu’Il ne nous abandonnerait jamais et qu’Il continuerait de veiller sur nous. Cela n’a pas été facile mais je me suis alors efforcée de penser que peut-être Dieu nous envoyait cette épreuve pour nous faire grandir dans notre foi, pour que nous ne perdions jamais confiance en Lui et que nous sachions le remercier pour tout. Pour m’aider, j’ai souvent relu ces paroles du Christ : 'des hommes vous livreront pour qu’on vous fasse souffrir et qu’on vous mette à mort, tous les peuples vous haïront à cause de moi. En ce temps-là, beaucoup abandonneront la foi … Mais celui qui tiendra bon jusqu’à la fin sera sauvé.' Cet Evangile me donne beaucoup de force pour rester fidèle, aimer Dieu toujours et pardonner à Daesh ».
L’arrivée en France
Après deux mois passés à Erbil, la famille de Soleen a été l’une des premières à pouvoir partir à Grenoble grâce à une personne qui, connaissant l’oncle de Soleen (prêtre à Bagdad), a réussi à trouver pour eux une famille d’accueil grenobloise. « Cette famille a eu la gentillesse de nous laisser tout le premier étage de sa maison. Nous ne les remercierons jamais assez. D’autant que les échanges au début n’ont pas été faciles car, avec ma famille, nous ne parlions qu’araméen et arabe ». Après quelques mois passés en France, Soleen s’est très vite rendu compte que la langue ne serait pas la seule barrière qu’elle aurait à franchir. « J’ai en effet été très étonnée de voir si peu de chrétiens en France. La plupart des personnes que je rencontrais au lycée catholique qui m’a accueillie me disaient ne pas avoir la foi, ce qui me choquait beaucoup car j’ai du mal à imaginer qu’on puisse vivre sans croire en Dieu. Ma famille d’accueil avait beau être croyante, j’ai commencé à avoir du mal à prier dans ce désert. J’ai donc demandé à Dieu qu’Il m’envoie des amis chrétiens».
La rencontre avec Lanfrey
Et c’est alors que Soleen a connu le centre Lanfrey. « Ma prière avait été exaucée ! J’ai découvert à Lanfrey des activités de formation et un accompagnement spirituel qui m’ont permis à nouveau d’apprendre plein de choses et de grandir dans ma foi ». Grâce aux amies qu’elle s’y est faite et qui se sont relayées pour lui donner des cours de français, Soleen a non seulement découvert le goût de notre langue, mais aussi redécouvert le goût de vivre. Elle a appris le vocabulaire de la foi et la manière de parler de Dieu aux autres en France. Aujourd’hui, même si rien ne sera plus jamais comme avant car tant de personnes qu’elle aime lui manquent, Soleen sait qu’elle et sa famille ont eu beaucoup de chance.
Le message de Soleen
« A tous ceux qui ont lu mon histoire, je voudrais dire qu’il ne faut jamais perdre confiance en Dieu. Parfois nous croyons qu’Il nous a oubliés, mais nous nous trompons. Comme le dit la Bible, « Vois, je t’ai gravé au creux de mes mains ». Il nous faut donc toujours garder l’espérance. Daesh a réussi à nous prendre notre maison, notre famille, nos amis, mais il n’a pas réussi à nous voler l’essentiel : notre foi dans le Christ. De nombreuses familles sont encore à Erbil, dans l’attente d’un foyer qui pourrait les accueillir. Je pense souvent à elles et espère que parmi vous, certains seront prêts à leur ouvrir leur porte ».
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