La résurrection de la chair dans le Paradis chrétienLaisse-moi, cher ami, te parler d’un bonheur d’autant plus grand, que nous le désirons plus vivement et que nous le connaissons moins.
Tu le sais comme moi, et tous les hommes le savent comme nous, dans notre corps, nous ne sommes que des ruines. Les pères de notre race, Adam et Ève, étaient les plus magnifiques créatures du monde visible. Nous devions leur ressembler, être beaux et magnifiques comme eux. Ils sont tombés, et nous portons dans notre corps, aussi bien que dans notre âme, les traces de la foudre qui les a frappés et défigurés en les frappant. Ce n’est pas tout ; le peu de vie corporelle qui nous est resté, nous le perdons sans cesse, par tous les pores : Quotidie morior.
Or, dans la terre des Vivants tout sera vie ; plus de mort, ni totale ni partielle ; plus de souffrance, plus de faiblesse, plus de déperditions, plus d’influences extérieures contraires à la pleine jouissance. Plus de nuit, plus d’orages, plus de neige, plus de pluie, plus de vents désagréables. Notre corps, possédant toute son intégrité, sera doué de quatre qualités qui lui assureront à jamais la plénitude de la vie : l’impassibilité, la subtilité, l’agilité, la clarté.
Ceci est de foi. «Nous attendons du ciel, dit saint Paul, le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui reformera notre corps misérable sur le modèle de Son corps glorieux» (Philipp., III, 20, 21). Or, il est de foi qu’après la résurrection, le corps de Notre-Seigneur était impassible, mais non insensible ; subtil, mais palpable ; agile et lumineux ; visible et invisible à volonté. De plus, Notre-Seigneur parlait, mangeait et faisait usage de tous Ses sens2. «Eh quoi ! s’écrie là-dessus saint Jean Chrysostome, à ce corps qui est assis à la droite du Père, notre corps sera semblable ! A ce corps que les anges adorent pénétrés de respect ; à ce corps élevé au-dessus de toutes les Principautés, de toutes les Puissances et de toutes les Vertus, notre corps sera semblable ! Si le globe entier se fondait en larmes, y en aurait-il assez pour pleurer le malheur de ceux qui abdiquent une pareille espérance ?»
Impassible. Telle sera donc, mon cher ami, la première qualité de notre corps glorieusement ressuscité. Dépouillé par le travail de la tombe de toutes les imperfections et de toutes les infirmités, tristes effets du péché, rendu à la vie dans l’âge de la force et de la beauté, notre corps jouira d’une jeunesse éternelle et d’une santé inaltérable.
Pauvres malades qui voudriez acheter au poids de l’or la santé qui vous manque ; et vous, mondains et mondaines, qui désirez si ardemment la beauté ; à qui les difformités corporelles sont quelquefois aussi insupportables que la mort ; qui portez envie à la beauté et, pour vous consoler, aimez à vous en attribuer quelque reflet ; vous enfin qui prenez tant de soins pour conserver cette ombre de beauté, pour la réparer et suspendre, s’il était possible, les ravages du temps : rendez-vous dignes d’habiter un jour la terre des Vivants, et vous avez la certitude de jouir éternellement d’une santé parfaite et de posséder une beauté supérieure à toutes les beautés visibles.
J’ai dit la certitude ; car, outre la ressemblance promise de notre corps avec celui du nouvel Adam, l’impassibilité sera l’effet nécessaire de la glorification. Dans les choses corruptibles, le principe vital ne domine pas assez parfaitement la matière, pour la préserver de toute atteinte contraire à sa volonté. Mais, après la résurrection, l’âme des saints sera complètement maîtresse du corps. Cet empire sera immuable, puisque l’âme elle-même sera immuablement sous l’empire de Dieu. Il sera parfait, puisque l’âme elle-même sera parfaite, et, conséquemment, douée du pouvoir et de la volonté d’empêcher tout ce qui pourrait nuire au corps. De plus, dans le ciel, le bonheur de l’homme sera complet : il ne le serait pas si le corps demeurait sujet à la souffrance ou à quelque difformité.
Au reste, mon cher ami, je m’empresse d’ajouter que l’impassibilité ne détruira pas la sensibilité. Tout en conservant dans son intégrité la nature des corps, la puissance divine peut lui ôter certaines qualités. Ainsi, au feu de la fournaise de Babylone, elle ôta la vertu de brûler certaines choses, puisque les corps des jeunes Hébreux demeurèrent intacts ; mais elle lui laissa la vertu de brûler certaines autres choses, puisque le bois fut consumé.
Il en sera de même pour les corps glorieux. Dieu ôtera la passibilité et conservera la sensibilité. D’ailleurs, si les corps glorieux n’étaient pas sensibles, la vie des saints, après la résurrection, ne serait ni la vie dans sa plénitude, ni même la vie ordinaire, ni même le sommeil qui est une demi-vie ; mais une espèce d’engourdissement incompatible avec le bonheur complet (S. Th., Suppl., q. 82, art. 2 à 4).
Subtil. Semé animal, le corps ressuscitera spirituel ; donc subtil. Tout le monde sait que la subtilité est une des principales qualités des esprits, et que la subtilité des êtres spirituels surpasse infiniment la subtilité des êtres corporels. Les corps glorieux, étant spiritualisés, seront donc très subtils. La subtilité d’un corps consiste à pouvoir pénétrer au travers d’un autre corps, à peu près comme le rayon lumineux pénètre le verre, sans le déranger ni l’altérer. C’est ainsi qu’après Sa résurrection, le nouvel Adam entra, les portes fermées, dans le lieu où étaient Ses disciples (Jean, XX, 26).
Deux causes naturelles la rendent possible : la première, la ténuité du corps pénétrant ; la seconde , l’existence des pores ou espaces laissés vides entre les parties du corps pénétré. Mais le vrai principe de la subtilité des corps glorieux sera leur parfaite dépendance de l’âme glorifiée. Le premier effet de cette soumission sera de faire, dans les limites du possible, participer le corps à la nature de l’âme, et par conséquent aux opérations de l’âme elle-même. Ainsi, nul obstacle aux communications les plus intimes des saints entre eux et avec toutes les parties de la terre des Vivants.
Néanmoins, les corps glorieux resteront palpables. Reformés, comme la foi nous l’apprend, sur le modèle du corps du Verbe ressuscité, ils en auront les qualités. Or, le corps du Verbe ressuscité était palpable. «Palpez et voyez, disait le bon Maître à Ses disciples étonnés ; un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que J’en ai» (Luc, XXIV, 39) C’est d’ailleurs, tu ne l’ignores pas, un article de foi sanctionné par l’Église dans la condamnation d’Eutychès, patriarche de Constantinople, qui soutenait l’impalpabilité des corps glorieux.
Être dégagé et éternellement dégagé du pesant fardeau de la matière, être jeune et éternellement jeune, être beau d’une beauté ravissante et éternellement beau : telles sont les deux premières qualités réservées au corps de l’homme dans la terre des Vivants.
Mgr Gaume – La vie n’est pas la vie (1868)