Toujours orientés vers Dieu - Saint Louis Marie Grignon de Montfort
Jésus-Christ a dit :
« Il faut prier toujours et ne jamais se lasser ».
Saint Paul recommande aux chrétiens de prier sans interruption. De quelle manière doit s’entendre ce précepte, ou, si l’on veut, ce conseil ? Car on se demande immédiatement comment il est possible de l’accomplir…
Commençons par rappeler que ce précepte ne porte pas sur la prière vocale !
En effet, comment passer une journée entière à ne faire qu’accumuler des formules verbales de prière ! Même les religieux les plus contemplatifs et les plus consacrés à la prière ne vivent pas ainsi. Nous devons passer, bien souvent, la majeure partie de notre temps à accomplir notre devoir d’état temporel, celui sur lequel Dieu nous jugera à la fin de notre existence, en nous demandant des comptes sur ce que nous aurons fait.
Ce précepte ne peut pas non plus porter sur l’oraison mentale, car nous ne pouvons pas être toujours dans l’exercice actuel de cette prière intérieure ! Il est impossible à notre nature d’occuper continuellement notre esprit de la pensée de Dieu ou des choses de Dieu. Une attention non interrompue à la présence de Dieu est au-dessus des forces humaines, et n’est pas compatible avec les embarras de cette vie.
Comment donc et par quelle autre espèce de prière peut-on remplir les intentions de Notre-Seigneur ?
Par la prière du cœur, qui consiste dans une disposition habituelle et constante d’amour de Dieu, de confiance en Dieu, de soumission à sa volonté dans tous les événements de la vie, dans une attention continuelle à la voix de Dieu qui se fait entendre au fond de la conscience et dans les circonstances providentielles dans lesquelles nous nous trouvons, et qui nous invite à faire le bien et à éviter le mal.
Cette disposition du cœur est celle où devraient être tous les chrétiens ; c’est en tout cas celle où ont été tous les saints ; et c’est en cela uniquement que consiste la vie intérieure.
Dieu appelle tout le monde à cette disposition de cœur, puisque c’est sans contredit pour tous les chrétiens que Jésus-Christ a dit qu’il faut toujours prier ; et il est certain que tous parviendraient à cet état s’ils répondaient fidèlement à l’appel de la grâce, cela même sans parler de faveurs mystiques extraordinaires.
Que l’amour de Dieu soit vraiment dominant dans un cœur ; qu’il lui devienne en quelque sorte comme familier et habituel ; qu’on rejette tout ce qui y est contraire ; qu’on s’applique continuellement à en vivre en cherchant à plaire à Dieu en toutes choses, à progresser dans son intimité autant qu’il lui est agréable et qu’il veut bien nous y introduire ; qu’on s’efforce de ne rien refuser à Dieu de ce qu’il demande ; qu’on prenne comme de sa main tout ce qui arrive ; qu’on soit dans une détermination inébranlable de ne jamais commettre aucun acte dont on aurait conscience qu’il s’agit d’une faute ; et si on a le malheur d’en faire une, qu’on s’en humilie et qu’on se relève aussitôt : on sera dans la pratique de la prière continuelle.
Cette prière subsistera au milieu de nos occupations, de nos entretiens, de nos amusements même innocents. La chose n’est donc pas impraticable, ni aussi difficile qu’on pourrait se l’imaginer.
Dans cet état, on ne pense pas toujours à Dieu, mais on ne s’arrête jamais volontairement à une pensée que l’on sait lui être contraire. On ne pose pas sans cesse des actes, on ne prononce pas sans cesse des prières, mais le cœur est toujours tourné vers Dieu, toujours attentif à Dieu, en ce sens qu’il est toujours disposé à passer à l’acte quand les circonstances s’y prêtent ou le requièrent.
On se trompe quand on croit qu’il n’y a de prière réelle que celle qui est expresse, formelle, vocale, sensible, qui s’incarne dans des suites de formules, et dont on peut se rendre témoignage à soi-même.
De là vient que tant de personnes se persuadent qu’elles ne font rien à l’oraison, lorsqu’il n’y a rien de marqué, rien que l’esprit ou le cœur aperçoivent ou sentent, aucun discours développé dans l’intelligence ; ce qui les engage à y renoncer.
Mais on devrait faire réflexion que Dieu entend, comme dit David, la préparation de nos cœurs ; qu’il n’a besoin ni de nos paroles, ni même de nos pensées pour connaître la disposition intime de notre âme ; que notre prière se trouve déjà en germe et en substance dans le fond de notre volonté, avant qu’elle soit développée par la parole ou la pensée ; en un mot, que nos actes intimes et directs précèdent toute réflexion, et ne sont pas sentis ni aperçus, à moins qu’on n’y fasse une attention expresse.
Aussi, quand on demanda à saint Antoine quelle était la meilleure manière de prier, il répondit :
«C’est, lorsqu’en priant, on ne pense pas qu’on prie. »
Notre-Seigneur n’affirmait-il pas lui-même à ses apôtres :
« Quand vous priez, ne prononcez pas des paroles vaines à la manière des païens ; ils s’imaginent que c’est l’abondance de leur verbiage qui les fera exaucer. Ne leur ressemblez donc pas : votre Père connaît vos besoins, avant que vous ne le suppliiez. » (Mt, VI, 7-8)
Ce qui rend cette manière de prier plus excellente, c’est que l’amour propre n’y trouve rien où il puisse s’appuyer, et qu’il ne saurait en souiller la pureté par ses regards.
La prière continuelle n’est donc pas difficile en elle-même, néanmoins elle est très rare, parce qu’il est peu de cœurs disposés comme il faut pour le faire, suffisamment généreux pour se donner si simplement mais si complètement à Dieu, et assez courageux et fidèles pour y persévérer.
On ne commence à y entrer que du moment qu’on s’est donné tout à fait à Dieu. Or, il est très peu d’âmes qui osent se donner à Dieu sans réserve ; il y a presque toujours dans ce don de secrètes restrictions de l’amour-propre, des ambitions de vanité ou de succès, comme la suite ne tarde pas à le faire voir. Mais quand le don de soi est plein et entier, Dieu le récompense sur le champ par le don de Lui-même ; il s’établit dans le cœur, et il y forme cette prière continuelle qui consiste dans la paix, dans le recueillement, dans l’attention à Dieu au-dedans de soi-même, au milieu des occupations ordinaires.
C’est pourquoi toutes ces distractions technologiques d’aujourd’hui sont de véritables désastres spirituels —sans même parler des usages gravement peccamineux qu’elles facilitent, voire encouragent— car l’intrusion invasive des écrans dans notre vie, cette pollution audio-visuelle permanente, rendent impossible ce recueillement profond de l’âme, cette attention intérieure à Dieu.
Nos facultés de concentration sont happées par toutes ces sollicitations extérieures, par tous ces renseignements qui se proposent à nous et qui nous contraignent à vivre à la périphérie de nous-même et non pas en notre « château intérieur », comme aurait dit sainte Thérèse d’Avila.
Ce recueillement dont nous parlions est d’abord sensible : on en jouit, et on le sait. Il devient ensuite tout spirituel ; on l’a, mais on ne le sent plus. Si l’on regrette ce sentiment si doux, si consolant qu’on a perdu, si l’on veut le rappeler, c’est un effet de l’amour propre.
Si l’on croit que l’on n’est plus recueilli et qu’on ne pratique plus la prière continuelle parce qu’on ne sent plus rien : c’est une erreur ! Si l’on a la pensée de quitter l’oraison et ses exercices ordinaires de piété, sous prétexte qu’on n’y fait rien, comprenez que l’on n’y ressent plus rien, c’est une très dangereuse tentation. Si l’on y succombe, si l’on se relâche de sa fidélité, si l’on va chercher auprès des créatures la consolation que l’on ne goûte plus en Dieu, on perd le don de la prière continuelle, on déchoit de son état, et l’on s’expose à devenir pire que l’on n’était avant de se donner à Dieu…
source
http://www.chretiensmagazine.fr/2018/06/toujours-orientes-vers-dieu-saint-louis.html