Qui sème l’absence de dialogue, récolte les ténèbres de la révolte
Par Michel Janva le 26 octobre 2019
Par Michel Janva le 26 octobre 2019
Dans Valeurs Actuelles, l’abbé Danziec constate que la liberté d’expression n’est décidément pas une valeur de gauche…
« Nous sommes gens à nous parler ». C’est par ces mots que Talleyrand invite à souper Fouché dans la pièce de théâtre éponyme de Jean-Claude Brisville. Le dialogue est brillant, le décor sublime et le duo – avouons-le – délicieux. A priori pourtant, rien ne laissait supposer que l’évêque défroqué et le duc d’Empire parvenu étaient faits pour converser. Ni l’ascendance, ni les trajectoires, ni les opinions politiques. Entre un Talleyrand, fin diplomate de haute noblesse et un Fouché, fils de négrier, modeste professeur de sciences devenu ministre de la Police, comment donc ces deux hommes ont-ils pu se trouver ? Sans doute parce qu’au-delà des intérêts personnels, l’un comme l’autre savait qu’une discussion autour d’un repas permettrait de faire avancer les destinées du pays, laissé exsangue après la défaite de Waterloo.
De discussion, la philosophe Sylviane Agacinski, elle, en a été tout récemment privée par un ensemble composite de syndicat et d’associations aux noms évocateurs : “Solidaires étudiant·e·s Bordeaux”, “GRRR”, “Riposte trans”, “Mauvais Genre·s” ou encore “WakeUp !”.
Alors que l’université Bordeaux-Montaigne proposait en effet à l’intellectuelle de rencontrer ses étudiants sur le thème « L’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique », la direction a estimé que, « face à des menaces violentes », elle ne pouvait « assurer pleinement la sécurité des biens et des personnes, ni les conditions d’un débat vif mais respectueux ».
Comble de l’ironie en terre bordelaise, quand on sait que l’humaniste Montaigne affirmait sans détour : « Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non pas ma colère ; je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit. » Ainsi, à l’heure de l’évangile du vivre-ensemble et de l’apologie de l’ouverture à toutes les différences, la conjointe de Lionel Jospin, connue pour ses réserves sur la PMA pour toutes et son opposition à la GPA, n’a pas pu s’exprimer en raison de la pression d’une minorité active.
Sylviane Agacinski à Bordeaux, Zemmour menacé par les élus du personnel du groupe Canal +, le Medef qui renonce à inviter Marion Maréchal à son université d’été, il semble que la bien-pensance, et la gauche de façon habituelle, se soient spécialisées dans le refus du dialogue.
A l’inverse, tant au Cirque d’hiver en avril dernier avec Valeurs Actuelles ou à la Palmeraie lors de la Convention organisée par L’Incorrect, la droite n’hésite pas à convier contradicteurs et adversaires, tels Jacques Attali, Bruno Le Maire ou Raphaël Enthoven.
Construire en se parlant. C’est ainsi, nous le savons, que naissent les civilisations.
On édifie une cathédrale comme on édifie son prochain. Des pierres ciselées font corps avec des voûtes élancées jusqu’à dessiner avec les vitraux un spectacle fabuleux. Les discussions quant à elles, si elles savent s’articuler en des échanges plaisants, animés par la bienveillance, enrichis par l’expérience, habités par le bon sens, sont en mesure de participer puissamment à la construction d’un esprit critique. A ne pas confondre avec « l’esprit de critique ». Le premier est signe de vitalité intellectuelle, il atteste d’une volonté de confronter son savoir, ses connaissances, ses principes avec ceux qui seraient différents. Il permet d’approfondir son raisonnement, d’équilibrer son propos ou d’étoffer ses arguments. Il remet en question sans tout remettre en cause. Il offre le goût de la nuance. A l’opposé, « l’esprit de critique » témoigne d’un déficit intellectuel. On jette l’anathème, on pousse des cris d’orfraies, on voue aux gémonies pour mieux s’affranchir de débattre.
L’Histoire nous le montre, et les éducateurs lucides le savent bien : qui sème l’absence de dialogue, récolte les ténèbres de la révolte.
La question du mariage pour tous, qui pouvait être l’occasion d’un grand débat sur le sujet de la famille, ne fut pas tant le théâtre d’une confrontation virile que celui d’une obstination législative radicale. Par la suite, la confiscation du débat électoral lors de la dernière campagne présidentielle de 2017 ne fit qu’alimenter la frustration d’un grand nombre. Et c’est fort justement que certains ont vu derrière la geste des Gilets Jaunes et la chaleur humaine qui s’est manifestée sur les ronds-points, une réponse inattendue à la grande solitude qu’expriment nos sociétés occidentales, laissées-pour-compte de la mondialisation et abandonnées aux périphéries. Beaucoup ont été non seulement privés d’écoute et de dialogues, mais aussi et surtout dépossédés des repères qui en sont les fruits.
Tandis que le diable dénigre, caricature, médit, catégorise, enferme et calomnie, à l’inverse poser des questions, confronter ses idées demeure un signe de haute charité :
et par la sollicitude qui s’y manifeste, et par l’élévation spirituelle qu’elle peut générer. A de fréquentes reprises, le procédé est utilisé par le Christ lui-même dans les évangiles : des apôtres dans la région de Césarée de Philippe jusqu’à Pilate sur les marches du prétoire en passant par les grands prêtres la nuit où Il fut livré, le Fils de Dieu interroge, consulte, oriente la réflexion de ses interlocuteurs par des questions et les accompagne avec bonté afin qu’ils jugent droitement.
Saisir l’importance du dialogue comme moyen pour gagner en sérieux, voilà l’une des conditions pour un retour au réel. C’est rendre hommage à la raison humaine que de défendre ses convictions tout en étant ouvert au débat. C’est participer à son élévation en apportant la contradiction. Vivre en chrétien, c’est d’ailleurs accepter d’en devenir un signe.
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