Synode de la famille: comment lire le document final?
POSTÉ PAR ISABELLE DE GAULMYN LE MARDI 4 NOVEMBRE 2014
Quelle vision de la famille se dégage du rapport final (1) du Synode extraordinaire des évêques sur le sujet ? C’est à partir de ce texte en effet que les catholiques du monde entier sont désormais invités à discuter et débattre, avant qu’un second synode ne se réunisse, dans un an, pour trancher.
Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de ce qui figure dans le document. Mais aussi de ce qui n’y figure plus: dans la mesure où le rapport d’étape a été rendu public, la comparaison entre les deux textes, celui provisoire, et le définitif, est instructive. Elle permet de voir ce qui a posé problème, ce qui a évolué, ou qui a été simplement supprimé par les Pères synodaux par rapport à une première version jugée trop audacieuse. Autant de changements qui manifestent les tensions qui traversent aujourd’hui l’Église autour de son rapport à la morale familiale et sexuelle, et qui devraient se trouver logiquement au cœur des discussions qui vont avoir lieu cette année dans les communautés.
Trois articles repoussés
En effet, pour la première fois, cette « relatio » mentionne l’ensemble des articles discutés, y compris ceux qui n’ont pas obtenu la majorité nécessaire des deux tiers des Pères synodaux. Notons au passage que cette règle des deux tiers provient de l’article 26 des statuts du synode tels que Benoît XVI les a approuvés en 2006. Trois articles sont dans ce cas : le 52, qui envisage une possibilité pour les divorcés-remariés d’accéder à la communion après un chemin de pénitence, le 53 qui pose la question du lien entre communion spirituelle et communion eucharistique (pourquoi autorise-t-on la première et non la seconde ?), et enfin le 55, appelant à une attention pastorale envers les personnes homosexuelles. Trois sujets sur lesquels le consensus est donc difficile, même si ces articles ont tout de même obtenu, à défaut de la majorité des deux tiers, la majorité absolue des voix.
La disparition de la gradualité
Plus largement, la comparaison entre ce texte définitif du synode et le rapport intermédiaire est instructive. La première différence, la plus importante, c’est la disparition du texte final de ce qui constituait pourtant l’une des innovations théologiques les plus audacieuses du synode: la loi de gradualité dans la morale familiale et sexuelle. Dans la première version, l’article 13 notamment, faisait appel à cette notion (utilisé d’ailleurs par Jean-Paul II en 1981 dans familiaris consortio), pour signifier qu’il est impossible de mettre toutes les normes sur le même plan, qu’il y a dans les valeurs demandées par l’Église une forme de « hiérarchie des vérités », que l’on ne peut exiger du chrétien qu’il applique toute la loi morale, entièrement et d’un coup.
Il faut, disait le texte provisoire, sortir de la logique du « tout ou rien ». Depuis Vatican II, des moralistes demandent que cette notion de « gradualité » soit plus mise en valeur, de façon à mieux répondre à la diversité des situations, sans dogmatiser les valeurs morales. En revanche, d’autres s’inquiètent que cette « loi de gradualité » soit comprise comme une « gradualité de la loi », porte ouverte au relativisme.
Pas d‘éléments valables dans les formes imparfaites d’unions
L’autre grand apport du synode, au plan théologique, consistait à reprendre la théorie « inclusive » de Vatican II, en cherchant ce qui, dans les autres formes d’unions que le mariage chrétien, pouvait être positif, et contenir des éléments valables. Comme Vatican II reconnaissait dans d’autres religions des « Semences du Verbe ». Le document définitif reprend cette idée (article 22), mais de manière plus amoindrie : en effet, il ne l’applique pas, contrairement au premier texte, à toutes les situations irrégulières, notamment pas aux divorcés remariés. Et il ne va pas jusqu’à parler, comme la première version, des « valeurs positives » que peuvent avoir ces formes imparfaites, et que l’Église se doit d’apprécier aussi. (article 20 première version)
Un regard moins positif
Plus généralement, là où le premier texte portait un regard positif, (non sans rappeler les documents conciliaires comme Gaudium et Spes), le second adopte un ton plus pessimiste sur la société moderne, auquel nous a habitués depuis des années le magistère romain. La première version osait énoncer qu’il peut ne pas y avoir que du mauvais dans ce qu’on s’était accoutumé à considérer comme, simplement, des « situations de péché ». Le texte définitif revient à une vision plus classique. Ainsi, le chapitre « les aspects positifs des unions civiles et les concubinages » est devenu « le soin pastoral envers ceux qui sont mariés civilement ou vivent en concubinage ».
Les personnes homosexuelles
C’est à propos de l’accueil des personnes homosexuelles (appelées, dans le second texte « personnes ayant une orientation homosexuelle) que cette évolution est la plus frappante : le rapport d’étape évoquait les « « dons et les qualités » de ces personnes homosexuelles à offrir à la communauté chrétienne. Il n’en est plus question dans la seconde version. Tout comme a été supprimée la phase sur la nécessité de prendre acte que dans les unions homosexuelles « il existe des cas où le soutien réciproque jusqu’au sacrifice entre les partenaires constitue une aide précieuse ». Cette reconnaissance de la valeur de la relation qui peut exister entre des personnes homosexuelles a totalement disparu dans la nouvelle version, qui se contente de reprendre ce que disait déjà le catéchisme de l’Église catholique sur l’accueil nécessaire des personnes homosexuelles.
Enfin, le second texte prend soin de citer amplement la doctrine de l’Église sur la famille, comme pour rappeler qu’il existe une tradition à laquelle on ne saurait déroger. Il a même rajouté tout un chapitre « la famille dans les documents de l’Église » qui n’existait pas dans la première version. Et il cite à plusieurs reprises, à côté du pape François, le pape Benoît XVI et surtout le pape Jean-Paul II…
Retour en arrière ?
Faut-il en conclure que les Père synodaux sont finalement revenus sur toutes les avancés du synode ? Non, l’accent, dans les deux versions, est mis sur l’importance de la miséricorde, la nécessité d’être pour l’Eglise dans l’accompagnement des diverses situations familiales, et non la condamnation. Il est certain que la première version allait plus loin que la majorité des Pères synodaux ne l’auraient voulu. Et que la version définitive reflète plus largement leur vision. Pourtant, le débat a eu lieu. Avec la publication des deux versions (provisoire et définitive), et des articles non votés, ce même débat peut désormais se tenir aussi dans les communautés.
Isabelle de Gaulmyn
(1) Pour se procurer (gratuitement) le document final du synode : voir sur le site de La Croix
POSTÉ PAR ISABELLE DE GAULMYN LE MARDI 4 NOVEMBRE 2014
Quelle vision de la famille se dégage du rapport final (1) du Synode extraordinaire des évêques sur le sujet ? C’est à partir de ce texte en effet que les catholiques du monde entier sont désormais invités à discuter et débattre, avant qu’un second synode ne se réunisse, dans un an, pour trancher.
Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de ce qui figure dans le document. Mais aussi de ce qui n’y figure plus: dans la mesure où le rapport d’étape a été rendu public, la comparaison entre les deux textes, celui provisoire, et le définitif, est instructive. Elle permet de voir ce qui a posé problème, ce qui a évolué, ou qui a été simplement supprimé par les Pères synodaux par rapport à une première version jugée trop audacieuse. Autant de changements qui manifestent les tensions qui traversent aujourd’hui l’Église autour de son rapport à la morale familiale et sexuelle, et qui devraient se trouver logiquement au cœur des discussions qui vont avoir lieu cette année dans les communautés.
Trois articles repoussés
En effet, pour la première fois, cette « relatio » mentionne l’ensemble des articles discutés, y compris ceux qui n’ont pas obtenu la majorité nécessaire des deux tiers des Pères synodaux. Notons au passage que cette règle des deux tiers provient de l’article 26 des statuts du synode tels que Benoît XVI les a approuvés en 2006. Trois articles sont dans ce cas : le 52, qui envisage une possibilité pour les divorcés-remariés d’accéder à la communion après un chemin de pénitence, le 53 qui pose la question du lien entre communion spirituelle et communion eucharistique (pourquoi autorise-t-on la première et non la seconde ?), et enfin le 55, appelant à une attention pastorale envers les personnes homosexuelles. Trois sujets sur lesquels le consensus est donc difficile, même si ces articles ont tout de même obtenu, à défaut de la majorité des deux tiers, la majorité absolue des voix.
La disparition de la gradualité
Plus largement, la comparaison entre ce texte définitif du synode et le rapport intermédiaire est instructive. La première différence, la plus importante, c’est la disparition du texte final de ce qui constituait pourtant l’une des innovations théologiques les plus audacieuses du synode: la loi de gradualité dans la morale familiale et sexuelle. Dans la première version, l’article 13 notamment, faisait appel à cette notion (utilisé d’ailleurs par Jean-Paul II en 1981 dans familiaris consortio), pour signifier qu’il est impossible de mettre toutes les normes sur le même plan, qu’il y a dans les valeurs demandées par l’Église une forme de « hiérarchie des vérités », que l’on ne peut exiger du chrétien qu’il applique toute la loi morale, entièrement et d’un coup.
Il faut, disait le texte provisoire, sortir de la logique du « tout ou rien ». Depuis Vatican II, des moralistes demandent que cette notion de « gradualité » soit plus mise en valeur, de façon à mieux répondre à la diversité des situations, sans dogmatiser les valeurs morales. En revanche, d’autres s’inquiètent que cette « loi de gradualité » soit comprise comme une « gradualité de la loi », porte ouverte au relativisme.
Pas d‘éléments valables dans les formes imparfaites d’unions
L’autre grand apport du synode, au plan théologique, consistait à reprendre la théorie « inclusive » de Vatican II, en cherchant ce qui, dans les autres formes d’unions que le mariage chrétien, pouvait être positif, et contenir des éléments valables. Comme Vatican II reconnaissait dans d’autres religions des « Semences du Verbe ». Le document définitif reprend cette idée (article 22), mais de manière plus amoindrie : en effet, il ne l’applique pas, contrairement au premier texte, à toutes les situations irrégulières, notamment pas aux divorcés remariés. Et il ne va pas jusqu’à parler, comme la première version, des « valeurs positives » que peuvent avoir ces formes imparfaites, et que l’Église se doit d’apprécier aussi. (article 20 première version)
Un regard moins positif
Plus généralement, là où le premier texte portait un regard positif, (non sans rappeler les documents conciliaires comme Gaudium et Spes), le second adopte un ton plus pessimiste sur la société moderne, auquel nous a habitués depuis des années le magistère romain. La première version osait énoncer qu’il peut ne pas y avoir que du mauvais dans ce qu’on s’était accoutumé à considérer comme, simplement, des « situations de péché ». Le texte définitif revient à une vision plus classique. Ainsi, le chapitre « les aspects positifs des unions civiles et les concubinages » est devenu « le soin pastoral envers ceux qui sont mariés civilement ou vivent en concubinage ».
Les personnes homosexuelles
C’est à propos de l’accueil des personnes homosexuelles (appelées, dans le second texte « personnes ayant une orientation homosexuelle) que cette évolution est la plus frappante : le rapport d’étape évoquait les « « dons et les qualités » de ces personnes homosexuelles à offrir à la communauté chrétienne. Il n’en est plus question dans la seconde version. Tout comme a été supprimée la phase sur la nécessité de prendre acte que dans les unions homosexuelles « il existe des cas où le soutien réciproque jusqu’au sacrifice entre les partenaires constitue une aide précieuse ». Cette reconnaissance de la valeur de la relation qui peut exister entre des personnes homosexuelles a totalement disparu dans la nouvelle version, qui se contente de reprendre ce que disait déjà le catéchisme de l’Église catholique sur l’accueil nécessaire des personnes homosexuelles.
Enfin, le second texte prend soin de citer amplement la doctrine de l’Église sur la famille, comme pour rappeler qu’il existe une tradition à laquelle on ne saurait déroger. Il a même rajouté tout un chapitre « la famille dans les documents de l’Église » qui n’existait pas dans la première version. Et il cite à plusieurs reprises, à côté du pape François, le pape Benoît XVI et surtout le pape Jean-Paul II…
Retour en arrière ?
Faut-il en conclure que les Père synodaux sont finalement revenus sur toutes les avancés du synode ? Non, l’accent, dans les deux versions, est mis sur l’importance de la miséricorde, la nécessité d’être pour l’Eglise dans l’accompagnement des diverses situations familiales, et non la condamnation. Il est certain que la première version allait plus loin que la majorité des Pères synodaux ne l’auraient voulu. Et que la version définitive reflète plus largement leur vision. Pourtant, le débat a eu lieu. Avec la publication des deux versions (provisoire et définitive), et des articles non votés, ce même débat peut désormais se tenir aussi dans les communautés.
Isabelle de Gaulmyn
(1) Pour se procurer (gratuitement) le document final du synode : voir sur le site de La Croix