Cardinal Robert Sarah : "On ne peut oublier ses racines sans danger"
propos recuillis par Marie Malzac
Créé le 10/03/2015
Dans son livre Dieu ou rien (Fayard, 2015), le cardinal Sarah décrit une Europe qui abandonne la foi.
Nommé, il y a trois mois, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, le cardinal Robert Sarah a été pendant plusieurs années à la tête du Conseil pontifical Cor Unum, en charge de la charité du pape. Ce Guinéen, réputé proche de Benoît XVI, incite les Occidentaux à remettre la foi au centre de la société. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage en France pour la parution d’un livre d’entretiens avec le journaliste Nicolas Diat.
Votre ouvrage s’intitule Dieu ou rien. L’alternative est pour le moins radicale…
Sans Dieu, l’homme ne sait pas ce qu’il est ni où il va. Bien sûr, il peut prendre son indépendance. Mais sans Dieu, l’homme va vers l’impasse. Depuis presque deux siècles, le nihilisme s’est développé, les hommes se sont éloignés de tout ce qu’ils ne peuvent pas contrôler scientifiquement. Pour lutter contre cette disparition de Dieu, il faut que ceux qui croient en lui montrent qu’il est indispensable dans leur existence, que leur vie en est totalement imprégnée.
Vous avez connu la dictature du président Sékou Touré, notamment lorsque vous étiez tout jeune archevêque de Conakry, charge à laquelle vous avez été nommé en 1978, à l’âge de 34 ans. Dans de telles circonstances, en quoi consiste la résistance ?
Résister, c’est ne jamais se décourager face aux difficultés. La foi implique toujours une souffrance. Pendant ces années-là, je me retirais parfois en prière pendant deux ou trois jours, pour puiser des forces. Dieu était ma force. Dans les persécutions, il faut s’accrocher à notre rocher. Et les difficultés les plus impossibles à porter ne sont pas celles qui viennent de l’extérieur mais bien de l’intérieur.
Même si vous évoquez dans votre livre des « fleurs cachées extraordinaires », vous décrivez une Europe sans Dieu. Le constat est un peu rude, non ?
Il y a encore des chrétiens très engagés, une vraie vitalité, mais il y a un abandon de la foi chrétienne. Dieu est absent de la plupart des préoccupations. Un jour viendra où l’on se rendra compte qu’on doit revenir à nos valeurs chrétiennes, qui sont aussi la culture de l’Occident. On ne peut pas oublier ses racines sans danger. Je ne dirais pas que je suis pessimiste, mais l’Europe est dans une situation très inquiétante, notamment concernant la famille. Les femmes ne font plus d’enfants, le nombre des divorces explose. Les jeunes générations n’ont plus de modèles.
Il faudra à l’Occident une grande dose d’humilité pour recevoir des autres. Mais c’est une nécessité. Les Africains peuvent, par exemple, en apprendre beaucoup aux Européens sur le respect de la vie, de la famille, des personnes âgées…
On a vu lors du récent synode sur la famille que certaines exigences doctrinales et/ou pastorales de l’Église catholique pouvaient susciter l’incompréhension, par exemple, à propos de la communion des personnes divorcées remariées.
Ce que le Seigneur nous demande aujourd’hui, il l’a aussi demandé à nos prédécesseurs. L’Église doit faire passer son message avec le vocabulaire d’aujourd’hui mais elle ne peut pas changer la substance de ce message. La pédagogie pastorale doit être affinée par chacun d’entre nous. Le synode peut donner des indications générales, mais chaque évêque, chaque prêtre doit trouver comment le dire dans son contexte spécifique. Le christianisme n’est pas une question de morale, c’est la rencontre avec une personne, Jésus-Christ. Cela dit, il ne faut pas donner des illusions aux gens. Dieu est bon, certes. Mais un père de famille est bon avec ses enfants et ne les laisse pas pour autant faire n’importe quoi.
Le synode sur la famille semble néanmoins avoir généré une certaine confusion auprès des fidèles…
La faute de cette confusion nous revient, à nous, cardinaux. Avoir publié un texte, qui était un document de travail, et qui ne reflétait pas les discussions des pères synodaux, c’est véritablement une faute grave. Nous avons publié une chose inconcevable et abandonné le thème de la famille au profit de questions marginales.
Vous avez été nommé à la tête du dicastère en charge de la liturgie. Quelle sera votre mission ?
Le pape veut que j’aide l’Église à mener la congrégation de manière équilibrée et dans le respect absolu des textes du Concile, dans la continuité du travail énorme accompli par Benoît XVI dans ce sens. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Beaucoup ont interprété Sacrosanctum Concilium, la constitution sur la liturgie, comme un livre de recettes où chacun pouvait puiser pour inventer sa propre liturgie. Mais ce n’était pas du tout l’intention. La liturgie veut nous ramener à Dieu, nous faire célébrer le rapport entre Dieu et l’homme. C’est cela qu’a voulu Benoît XVI, et c’est ce que veut aujourd’hui François : faire en sorte que ce rapport soit vrai. En même temps, il faut montrer que ce qui a été vécu avant n’est pas à rejeter. Paul VI nous a donné un nouveau rite et nous devons en profiter, mais en faisant en sorte que les deux rites puissent s’enrichir mutuellement.
Quel regard portez-vous a posteriori sur la réforme liturgique, 50 ans après son introduction ?
La réforme liturgique était nécessaire. Lorsqu’une personne entend tout ce qui est dit, elle est sans doute mieux disposée à entrer dans le mystère. Mais ce n’est pas forcément parce que l’on comprend tout qu’on vit les choses plus profondément. Mes parents n’ont jamais étudié le latin, sont toujours allés à la messe en latin, et ils étaient de bons chrétiens. Le nouveau rite permet de rentrer davantage dans la célébration, mais ce n’est pas parce que je comprends que je rentre automatiquement dans le mystère, nous le voyons bien aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’une question de langue, mais de cœur.
propos recuillis par Marie Malzac
Créé le 10/03/2015
Dans son livre Dieu ou rien (Fayard, 2015), le cardinal Sarah décrit une Europe qui abandonne la foi.
Nommé, il y a trois mois, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, le cardinal Robert Sarah a été pendant plusieurs années à la tête du Conseil pontifical Cor Unum, en charge de la charité du pape. Ce Guinéen, réputé proche de Benoît XVI, incite les Occidentaux à remettre la foi au centre de la société. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage en France pour la parution d’un livre d’entretiens avec le journaliste Nicolas Diat.
Votre ouvrage s’intitule Dieu ou rien. L’alternative est pour le moins radicale…
Sans Dieu, l’homme ne sait pas ce qu’il est ni où il va. Bien sûr, il peut prendre son indépendance. Mais sans Dieu, l’homme va vers l’impasse. Depuis presque deux siècles, le nihilisme s’est développé, les hommes se sont éloignés de tout ce qu’ils ne peuvent pas contrôler scientifiquement. Pour lutter contre cette disparition de Dieu, il faut que ceux qui croient en lui montrent qu’il est indispensable dans leur existence, que leur vie en est totalement imprégnée.
Vous avez connu la dictature du président Sékou Touré, notamment lorsque vous étiez tout jeune archevêque de Conakry, charge à laquelle vous avez été nommé en 1978, à l’âge de 34 ans. Dans de telles circonstances, en quoi consiste la résistance ?
Résister, c’est ne jamais se décourager face aux difficultés. La foi implique toujours une souffrance. Pendant ces années-là, je me retirais parfois en prière pendant deux ou trois jours, pour puiser des forces. Dieu était ma force. Dans les persécutions, il faut s’accrocher à notre rocher. Et les difficultés les plus impossibles à porter ne sont pas celles qui viennent de l’extérieur mais bien de l’intérieur.
Même si vous évoquez dans votre livre des « fleurs cachées extraordinaires », vous décrivez une Europe sans Dieu. Le constat est un peu rude, non ?
Il y a encore des chrétiens très engagés, une vraie vitalité, mais il y a un abandon de la foi chrétienne. Dieu est absent de la plupart des préoccupations. Un jour viendra où l’on se rendra compte qu’on doit revenir à nos valeurs chrétiennes, qui sont aussi la culture de l’Occident. On ne peut pas oublier ses racines sans danger. Je ne dirais pas que je suis pessimiste, mais l’Europe est dans une situation très inquiétante, notamment concernant la famille. Les femmes ne font plus d’enfants, le nombre des divorces explose. Les jeunes générations n’ont plus de modèles.
Il faudra à l’Occident une grande dose d’humilité pour recevoir des autres. Mais c’est une nécessité. Les Africains peuvent, par exemple, en apprendre beaucoup aux Européens sur le respect de la vie, de la famille, des personnes âgées…
On a vu lors du récent synode sur la famille que certaines exigences doctrinales et/ou pastorales de l’Église catholique pouvaient susciter l’incompréhension, par exemple, à propos de la communion des personnes divorcées remariées.
Ce que le Seigneur nous demande aujourd’hui, il l’a aussi demandé à nos prédécesseurs. L’Église doit faire passer son message avec le vocabulaire d’aujourd’hui mais elle ne peut pas changer la substance de ce message. La pédagogie pastorale doit être affinée par chacun d’entre nous. Le synode peut donner des indications générales, mais chaque évêque, chaque prêtre doit trouver comment le dire dans son contexte spécifique. Le christianisme n’est pas une question de morale, c’est la rencontre avec une personne, Jésus-Christ. Cela dit, il ne faut pas donner des illusions aux gens. Dieu est bon, certes. Mais un père de famille est bon avec ses enfants et ne les laisse pas pour autant faire n’importe quoi.
Le synode sur la famille semble néanmoins avoir généré une certaine confusion auprès des fidèles…
La faute de cette confusion nous revient, à nous, cardinaux. Avoir publié un texte, qui était un document de travail, et qui ne reflétait pas les discussions des pères synodaux, c’est véritablement une faute grave. Nous avons publié une chose inconcevable et abandonné le thème de la famille au profit de questions marginales.
Vous avez été nommé à la tête du dicastère en charge de la liturgie. Quelle sera votre mission ?
Le pape veut que j’aide l’Église à mener la congrégation de manière équilibrée et dans le respect absolu des textes du Concile, dans la continuité du travail énorme accompli par Benoît XVI dans ce sens. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Beaucoup ont interprété Sacrosanctum Concilium, la constitution sur la liturgie, comme un livre de recettes où chacun pouvait puiser pour inventer sa propre liturgie. Mais ce n’était pas du tout l’intention. La liturgie veut nous ramener à Dieu, nous faire célébrer le rapport entre Dieu et l’homme. C’est cela qu’a voulu Benoît XVI, et c’est ce que veut aujourd’hui François : faire en sorte que ce rapport soit vrai. En même temps, il faut montrer que ce qui a été vécu avant n’est pas à rejeter. Paul VI nous a donné un nouveau rite et nous devons en profiter, mais en faisant en sorte que les deux rites puissent s’enrichir mutuellement.
Quel regard portez-vous a posteriori sur la réforme liturgique, 50 ans après son introduction ?
La réforme liturgique était nécessaire. Lorsqu’une personne entend tout ce qui est dit, elle est sans doute mieux disposée à entrer dans le mystère. Mais ce n’est pas forcément parce que l’on comprend tout qu’on vit les choses plus profondément. Mes parents n’ont jamais étudié le latin, sont toujours allés à la messe en latin, et ils étaient de bons chrétiens. Le nouveau rite permet de rentrer davantage dans la célébration, mais ce n’est pas parce que je comprends que je rentre automatiquement dans le mystère, nous le voyons bien aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’une question de langue, mais de cœur.