Cardinal Sarah : “On a voulu bâillonner Benoît XVI. Il a voulu parler au monde, mais on a cherché à discréditer sa parole”
Par Philippe Carhon le 18 février 20208 commentaires
Par Philippe Carhon le 18 février 20208 commentaires
L’Homme Nouveau publie une longue interview du cardinal Sarah accordé à Edward Pentin pour le National Catholic Register.
Eminence, pourquoi avez-vous voulu écrire ce livre ?
Parce que le sacerdoce chrétien est en danger de mort ! Il traverse une crise majeure.
La découverte du grand nombre d’abus sexuels commis par des prêtres voire des évêques en est un symptôme indiscutable. Le Pape émérite Benoît XVI avait déjà pris fortement la parole à ce sujet. Mais alors, sa pensée avait été déformée et ignorée. Comme aujourd’hui on a tenté de le réduire au silence. Comme aujourd’hui, des manœuvres de diversion ont été montées pour détourner l’attention de son message prophétique.
Pourtant, je suis persuadé qu’il nous avait dit l’essentiel : ce que personne ne veut entendre. Il avait montré qu’à la racine des abus commis par des clercs, il y a un défaut profond dans leur formation. Le prêtre est un homme mis à part pour le service de Dieu et de l’Église. Il est un consacré. Toute sa vie est mis à part pour Dieu. Or on a voulu désacraliser la vie sacerdotale. On a voulu la banaliser, la rendre profane, la séculariser. On a voulu faire du prêtre un homme comme les autres. Certains prêtres ont été formés sans mettre concrètement au centre de leur vie, Dieu, la prière, la célébration de la messe, la recherche ardente de la sainteté.
Comme le disait Benoît XVI, « Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions ? En dernière analyse, la raison en est l’absence de Dieu. C’est seulement là où la Foi ne détermine plus les actions de l’homme que de tels crimes sont possibles. »
On a formé des prêtres sans leur enseigner que le seul point d’appui de leur vie est Dieu, sans leur faire expérimenter que leur vie n’a de sens que par Dieu et pour lui. Privé de Dieu, il ne leur est resté que le pouvoir. Certains ont sombré dans la logique diabolique des abus d’autorité et des crimes sexuels. Si un prêtre ne fait pas quotidiennement l’expérience qu’il n’est qu’un instrument entre les mains de Dieu, s’il ne se tient pas constamment devant Dieu pour le servir de tout son cœur, alors il risque de s’enivrer d’une sensation de pouvoir. Si la vie d’un prêtre n’est pas une vie consacrée, alors il est en grand danger d’illusion et de déviation.
Aujourd’hui, certains voudraient faire un pas de plus en ce sens. On voudrait relativiser le célibat des prêtres. Ce serait une catastrophe ! Car le célibat est la manifestation la plus évidente que le prêtre appartient au Christ et qu’il ne s’appartient plus. Le célibat est le signe d’une vie qui n’a de sens que par Dieu et pour lui.
Vouloir ordonner des hommes mariés revient à laisser entendre que la vie sacerdotale ne prend pas toute la place, qu’elle n’exige pas un don complet, qu’elle laisse libre pour d’autres engagements comme un métier qui laisse du temps pour une vie privée. Mais cela est faux. Un prêtre reste prêtre à tout moment. L’ordination sacerdotale n’est pas d’abord un engagement généreux, c’est une consécration de tout notre être, une conformation indélébile de notre âme au Christ prêtre qui réclame de nous une conversion permanente pour y correspondre. Le célibat est le signe indiscutable qu’être prêtre suppose de se laisser entièrement posséder par Dieu. Le remettre en cause alourdirait gravement la crise du sacerdoce
Le pape émérite Benoît XVI partage-t-il ce point de vue ?
J’en suis certain, et il me l’a dit, en tête à tête, à plusieurs reprises. Sa plus grande souffrance et l’épreuve la plus douloureuse de l’Eglise latine, c’est le crime des prêtres pédophiles, des prêtres qui violent leur chasteté (…) Il n’a cessé de souligner l’importance du célibat sacerdotal pour toute l’Église. Je me permets de vous rappeler ses paroles : « Si nous séparons le célibat du sacerdoce, nous en viendrons à ne plus voir le caractère charismatique du sacerdoce. Nous ne verrons plus qu’une fonction que l’institution prévoit elle-même pour sa sûreté et ses besoins. Si on veut prendre le sacerdoce sous cet angle (…) l’Église n’est plus comprise que comme une simple ordonnance humaine. »
Mais on a voulu bâillonner Benoît XVI. Je dois avouer ma révolte devant les calomnies, la violence, les grossièretés dont il a été l’objet.
Benoît XVI a voulu parler au monde, mais on a cherché à discréditer sa parole. Je sais qu’il assume tout ce qui est écrit dans ce livre avec détermination, je sais qu’il se réjouit de sa publication. Il a voulu écrire et dire publiquement cette joie, mais on voudrait l’empêcher de l’exprimer. Mais raconter en détails, heure par heure, ces manœuvres ne sert à rien. Je préfère ne pas m’étendre sur ces machinations sordides dont les responsables rendront un jour compte devant Dieu.
Les adversaires du sacerdoce ne veulent pas entrer dans le fond du débat. Ils savent que leur argumentation repose sur des erreurs historiques, sur des contre-sens théologiques. Ils savent que le célibat est nécessaire à l’évangélisation en pays de mission. Alors ils essayent de délégitimer le livre lui-même. N’ayant rien à opposer au texte, ils s’attaquent à la couverture. Quelle pitié ! Ils font passer le Pape émérite pour un vieillard âgé.
Mais avez-vous lu ce qu’il écrit ? Croyez-vous que l’on peut écrire des pages d’une telle profondeur sans avoir tous ses moyens ? Certains veulent nous faire passer pour des naïfs. Ils tentent de faire croire que nos éditeurs nous ont manipulé et ont profité d’un malentendu pour monter je ne sais quel coup de communication. C’est totalement faux ! Il n’y a aucun malentendu.
Notre éditeur français n’a fait que mettre en œuvre ce que j’ai personnellement mis au point avec le pape émérite. J’ai déjà évoqué ce sujet. Je veux rendre encore hommage à la fidélité et au professionnalisme de tous mes éditeurs, en particulier à mon éditeur français. Toutes ces polémiques constituent une manœuvre qui vise à faire diversion pour ne pas parler de l’essentiel, le contenu du livre.
Avez-vous souhaité faire pression sur le Pape François ?
J’ai déjà écrit que « qui est contre le Pape est hors de l’Eglise », mais on s’acharne à m’opposer à lui. Je suis même en tête de la liste des opposants au Pape François. Ces accusations me brisent le cœur et m’attristent profondément. Mais je reste serein et confiant que le Pape ne porte aucune attention à de telles insinuations mensongères.
Je ne suis nullement en opposition au Pape François ! Ceux qui le prétendent tentent de diviser l’Église. Ils mentent et font le jeu du diable. J’ai écrit ce livre en vue d’offrir humblement et filialement ma contribution au Pape dans un esprit de réelle synodalité. Je vous mets au défi de trouver dans tout ce que j’ai écrit une seule ligne, un seul mot de critique contre le Pape !
Mais je suis inquiet. En Allemagne, un étrange synode envisage clairement la remise en cause du célibat. J’ai voulu crier mon inquiétude : ne déchirez pas l’Église ! En vous attaquant au célibat des prêtres, vous attaquez l’Église et son mystère !
L’Église ne nous appartient pas, elle est un don de Dieu. Elle se perpétue grâce au ministère des prêtres qui sont aussi un don de Dieu et non une création humaine. Chaque prêtre est le fruit d’une vocation, d’un appel personnel et intime de Dieu lui-même. Benoît XVI l’explique avec profondeur dans ce livre. On ne décide pas par soi-même de se faire prêtre. On y est appelé par Dieu et l’Église confirme cet appel. Le célibat garantit cet appel. Un homme ne peut renoncer à fonder une famille et accomplir une vie sexuelle que s’il est certain que Dieu l’appelle à ce renoncement. Notre sacerdoce est suspendu à l’appel de Dieu, et à la prière de l’Église pour les vocations.
Aussi remettre en cause le célibat revient à vouloir faire de l’Église une institution humaine, à notre pouvoir, à notre portée. C’est renoncer au mystère de l’Église comme don de Dieu.
Le Synode sur l’Amazonie n’a pas envisagé une remise en cause générale du célibat sacerdotal mais seulement des exceptions. Cela ne vous semble-t-il pas possible ?
L’ordination d’hommes mariés est un fantasme d’universitaires occidentaux en mal de transgressions. Je veux l’affirmer avec force : les pauvres, les simples, les chrétiens du rang ne réclament pas la fin du célibat ! Ils attendent des prêtres qu’ils soient des saints, qu’ils soient entièrement donnés à Dieu et à son Église. Ils attendent des prêtres célibataires qui incarnent parmi eux la figure du Christ, époux de l’Église.
J’ai voulu l’affirmer dans ce livre : il faut aider le Pape François à être du côté des pauvres et des simples et à refuser la pression des puissants, de ceux qui ont les moyens de financer des campagnes médiatiques. Certains organismes ecclésiaux qui manipulent beaucoup d’argent croient pouvoir faire pression sur le Pape et les évêques. On le voit en Allemagne, certains veulent imposer leurs projets à toute l’Église. Prions pour le Pape, il nous faut l’aider à résister aux pressions de ces riches et puissantes œuvres ecclésiales, il nous faut l’aider à défendre la foi des simples, il nous faut l’aider à défendre les pauvres d’Amazonie contre ceux qui tentent de les instrumentaliser en les privant d’un sacerdoce pleinement vécu dans le célibat. C’est d’abord pour soutenir le Pape dans sa mission que ce livre a été écrit.
Par ailleurs, comme le Pape François l’avait souligné à la fin du synode, le vrai problème de l’Amazonie n’est pas l’ordination de diacres mariés. L’enjeu réel est celui de l’évangélisation. Nous avons renoncé à annoncer la foi, le salut en Jésus-Christ. Trop souvent, nous sommes devenus des agents humanitaires ou des animateurs sociaux.
En Amazonie, nous manquons de laïcs qui prennent au sérieux leur vocation missionnaire. Nous avons besoin de catéchistes. Permettez-moi de faire référence à une situation que j’ai personnellement connue. Au début de l’année 1976, mon expérience de jeune prêtre m’a mis en contact avec des villages reculés de Guinée. Certains d’entre-eux n’avaient pas reçu la visite d’un prêtre depuis presque dix ans, car les missionnaires européens avaient été expulsés en 1967 par Sékou Touré. Or les catéchistes continuaient à enseigner le catéchisme aux enfants et à réciter les prières de la journée. Ils récitaient le chapelet. Ils se réunissaient le dimanche pour écouter la Parole de Dieu. J’ai eu la grâce de rencontrer ces hommes et ces femmes qui gardaient la foi sans aucun soutien sacramentel, faute de prêtres. Je ne pourrais jamais oublier leur joie inimaginable lorsque je célébrais la messe qu’ils n’avaient pas connue depuis si longtemps. Je crois que si l’on avait ordonné des hommes mariés dans chaque village, on aurait éteint la faim eucharistique des fidèles. On aurait coupé le peuple de cette joie de recevoir, dans le prêtre, un autre Christ. Oui, avec l’instinct de la foi, les pauvres savent qu’un prêtre qui a renoncé au mariage, leur fait don de tout son amour d’époux (…)
Mais n’y a-t-il pas déjà des exceptions à la loi du célibat ?
Une exception est transitoire par définition et constitue une parenthèse dans l’état normal et naturel des choses. Tel était le cas de pasteurs anglicans revenant à la pleine communion. Mais le manque de prêtre n’est pas une exception. C’est l’état normal de toute église naissante comme en Amazonie ou des Églises mourantes, comme en Occident.
Jésus nous a prévenu : « la moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux. » L’ordination d’hommes mariés dans de jeunes communautés chrétiennes interdirait de susciter en elle des vocations de prêtres célibataires. L’exception deviendrait un état permanent. Un affaiblissement du principe du célibat, même limité à une région ne serait pas une exception mais une brèche, une blessure dans la cohérence interne du sacerdoce. Par ailleurs, la dignité et la grandeur du mariage est de mieux en mieux comprise. Comme le souligne Benoît XVI dans ce livre, ces deux états ne sont pas compatibles parce qu’ils réclament tous les deux un don absolu et total.
En Orient, certaines Églises vivent avec une part du clergé marié. Je ne remets nullement en cause la sainteté personnelle de ces prêtres. Mais une telle situation n’est vivable qu’à cause de la présence massive des moines.
Par ailleurs, au point de vue du signe donné à toute l’Église par le sacerdoce, il faut souligner un risque de confusion. Si un prêtre est marié, alors il a une vie privée, une vie conjugale et familiale, il doit garder du temps pour son épouse et ses enfants. Il ne peut manifester par toute sa vie qu’il est totalement et absolument donné à Dieu et à l’Eglise.
Or Saint Jean-Paul II l’avait affirmé très clairement : l’Église veut être aimé de ses prêtres de l’amour même dont Jésus l’a aimée, c’est-à-dire d’un amour d’Époux exclusif. Il est important, disait le saint pape polonais que les prêtres comprennent bien la motivation théologique de leur célibat. : « Le célibat sacerdotal n’est pas à considérer comme une simple norme juridique, ni comme condition tout extérieure pour être admis à l’ordination. Le célibat est une valeur profondément liée à l’ordination. Il rend conforme à Jésus Christ, Bon Pasteur et Epoux de l’Eglise » (Pastores dabo vobis, 50).
C’est ce que nous avons voulu rappeler avec Benoît XVI. Le véritable fondement du célibat n’est pas d’ordre juridique, disciplinaire ou pratique, il est théocentrique. Je vous renvoie à ce sujet à l’extraordinaire discours de Benoît XVI à la Curie romaine le 22 décembre 2006. Le célibat pour Dieu est une absurdité au yeux du monde sécularisé et athée. Le célibat est un scandale pour les mentalités contemporaines. Il montre que Dieu est une réalité. Si la vie des prêtres ne manifeste pas concrètement que Dieu suffit à rendre heureux et à donner sens à nos existences, alors qui le proclamera ? Plus que jamais nos sociétés ont besoin du célibat parce qu’elles ont besoin de Dieu.
Pour certains, le célibat sacerdotal est une norme récente dans l’Eglise catholique, qu’en pensez-vous ?
On est souvent victime d’une profonde ignorance historique à ce sujet. L’Église a connu des prêtres mariés pendant les premiers siècles. Mais dès leur ordination, ils étaient tenus à l’abstinence totale de relations sexuelles avec leur épouse.
Benoît XVI le rappelle très clairement dans ce livre. Tout le monde connaît sa profonde culture historique et sa parfaite connaissance de la tradition ancienne. C’est un fait certain et prouvé par les recherches historiques les plus récentes. Il n’y a dans cette exigence aucun tabou, aucune peur de la sexualité. Il s’agit d’affirmer que le prêtre est l’époux exclusif, corps et âme, de l’Église. Il est tout entier livré à elle comme le Christ. Du point de vue historique les choses sont très claires : dès l’année 305, le concile d’Elvire rappelle la loi, « reçue des apôtres » de la continence des prêtres. Alors que l’Église sort à peine de l’ère des martyrs, un de ses premiers soins est d’affirmer que les prêtres doivent s’abstenir des relations sexuelles avec leur épouse. Le Concile stipule en effet : « Il a plu unanimement de porter la prohibition, à savoir que les évêques, les prêtres et les diacres, c’est-à-dire tous les clercs constitués dans le ministère, s’abstiennent de leurs épouses et qu’ils n’engendrent pas d’enfants : que celui, quel qu’il soit, qui l’aura fait, soit déclaré déchu de la cléricature » (can. 33). Si cette exigence avait été une innovation, elle n’aurait pas manqué de provoquer une vaste protestation chez les prêtres. Or elle a été reçue dans l’ensemble paisiblement.
Déjà, les chrétiens avaient conscience qu’un prêtre qui célèbre la messe, c’est-à-dire le renouvellement du sacrifice du Christ pour le monde, doit lui aussi s’offrir à Dieu et à son Eglise tout entier, corps et âme. Il ne s’appartient plus. Ce n’est que bien plus tard, en raison de la corruption des textes que l’Orient évoluera dans sa discipline, sans toutefois jamais renoncer au lien ontologique entre sacerdoce et abstinence.
Vous revenez plusieurs fois dans ce livre sur la nécessaire radicalité évangélique. Croyez-vous que nous faisons face à un relâchement de la ferveur ?
Je suis heureux que vous posiez cette question. C’est certainement l’aspect le plus important de ce livre, mais personne ne l’a relevé ni commenté. On se contente de polémiques secondaires et stériles. Je crois que la tiédeur et la médiocrité nous ont envahis. Nous devons aspirer à la sainteté.
Benoît XVI, avec un courage prophétique, ose affirmer que : « sans le renoncement aux biens matériels, il ne saurait y avoir de sacerdoce. L’appel à suivre Jésus n’est pas possible sans ce signe de liberté et de renoncement à tous les compromis. »
Il pose ainsi les fondements d’une vraie réforme du clergé. Il appelle à un changement radical dans la vie quotidienne des prêtres puisqu’il continue : « Le célibat ne saurait atteindre sa pleine signification si nous nous conformions aux règles de la propriété et aux attitudes de vie communément pratiquées aujourd’hui. »
Je suis persuadé qu’en vérité c’est la radicalité de cet appel à la sainteté qui dérange et qu’on ne veut pas entendre. Ce livre dérange parce que le Pape émérite y offre une perspective exigeante et prophétique. J’ai pour ma part essayé de développer cet appel en soulignant que les prêtres doivent trouver les moyens concrets de vivre les conseils évangéliques. Les évêques doivent y réfléchir pour eux-mêmes et pour les prêtres : il nous faut concrètement mettre Dieu au centre de notre vie.
La vie de prêtres ne peut être une vie selon le monde. « Nul ne peut servir deux maitres… »
L’occident est a bout de souffle. Il est vieux de tous ses renoncements et de ses démissions. Il attend, sans peut-être en avoir conscience, la jeunesse, la verdeur de l’exigence de l'Evangile qu’est la sainteté. Il attend donc des prêtres qui soient radicalement des saints.
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Dernière édition par Claire le Jeu 27 Fév 2020 - 9:21, édité 1 fois