Vénérable Mgr Fulton Sheen, premier télévangéliste catholique
Alors qu’on les imagine le plus souvent protestants, l’un des plus célèbres télévangélistes américains fut un prêtre catholique. Mais chez Mgr Fulton J. Sheen, pas d’effets à grand spectacle, pas de chatouillement de l’émotion ni d’emportement calculé. Au contraire, tout au long de sa carrière radiophonique puis télévisuelle, il a donné à des millions d’auditeurs, de plusieurs générations et de toute condition sociale, l’envie de connaître Dieu et la véritable paix que suscite l’amitié avec Jésus-Christ.Le message qu’il a transmis ne fut jamais le sien, mais celui de l’Église catholique. Celle-ci d’ailleurs ne l’a pas oublié. Sa cause de canonisation, officiellement ouverte en 2002, a franchi une étape importante en juin dernier, quand Benoît XVI a signé le décret de la Congrégation pour la cause des saints reconnaissant ses vertus héroïques. Un renfort important, en ce temps de nouvelle évangélisation.
Bien cher Ami de l'Abbaye Saint-Joseph,
Le 2 octobre 1979, dans la cathédrale Saint-Patrick de New York, devant une foule immense de fidèles venus saluer le Souverain Pontife, s’avance péniblement, parmi les évêques américains, un vénérable octogénaire qui fléchit le genou. Jean-Paul II le relève et l’embrasse en disant : « Vous avez bien écrit et parlé du Seigneur Jésus-Christ. Vous êtes un fils loyal de l’Église. » La foule est touchée par le geste, mais le prélat est ému par les paroles du Pape : rien ne pouvait réjouir davantage Mgr Fulton Sheen, au terme de sa vie toute dévouée à l’amour de Jésus-Christ et de son Église. Selon ses propres mots : « L’Église est le Temple de la Vie et j’en suis une pierre vivante ; elle est l’Arbre du Fruit éternel et j’en suis une branche ; elle est le Corps mystique du Christ sur terre dont je suis membre. L’Église est donc plus pour moi que je ne suis pour moi-même… Elle m’absorbe tellement que ses pensées sont mes pensées, ses amours mes amours, ses idéaux mes idéaux. Je considère que le fait de partager sa vie est le plus grand don que Dieu m’ait jamais fait, comme je considérerais le fait de perdre sa vie comme le plus grand malheur qui puisse m’arriver… Ma vie est sa vie, mon être est son être, elle a mon amour, mon dévouement. »
Mgr Sheen est venu au monde le 8 mai 1895, à El Paso (Illinois, États-Unis), premier-né de quatre garçons. Le jour de son Baptême, il est placé sur l’autel de la Vierge en signe de consécration spéciale à la Reine du Ciel. Il reçoit alors les noms de Peter John, mais on l’appellera couramment du nom de jeune fille de sa mère, Fulton, et c’est sous ce vocable qu’il sera connu. Toute sa vie, il sera reconnaissant d’avoir eu des parents profondément catholiques. « Les influences les plus profitables, écrira-t-il, sont celles qui sont inconscientes, non délibérées, lorsque personne ne regarde, ou lorsque la réaction à la bonne action n’est pas recherchée. Telle est l’influence à long terme d’une mère à la maison ; remplissant ses devoirs quotidiens avec amour et esprit de sacrifice, elle laisse sa trace imprimée dans les enfants, trace qui se creuse avec les années. »
Fulton suit une scolarité classique et se révèle en tout point un excellent élève. Durant l’été, il aide son père à la ferme, malgré son manque d’attrait pour ces travaux car ses centres d’intérêt sont plutôt intellectuels. Un voisin dit un jour à son père : « Ton fils aîné ne vaudra jamais rien : il a toujours le nez dans un livre. » Après ses études secondaires, le jeune homme entre à l’université, où ses succès lui valent une bourse en vue d’obtenir un doctorat. Cependant, il a perçu l’appel du Seigneur au sacerdoce. Il demande conseil à un bon prêtre, l’abbé Bergan, qui lui répond avec netteté : « Renonce à ta bourse d’études : voilà ce que le Seigneur veut que tu fasses. Et si tu mets en Lui ta confiance, tu recevras, après ton ordination, une bien meilleure éducation universitaire. » Fulton décide alors d’entrer au séminaire ; il ne le regrettera jamais.
Un temps notable
Le 20 septembre 1919, jour de son ordination sacerdotale, il fait deux promesses : passer une heure devant le Saint-Sacrement chaque jour de sa vie, et célébrer la Messe tous les samedis en l’honneur de la Sainte Vierge afin de solliciter la protection de la Reine des cieux sur son sacerdoce. Il parlera plus tard du « sentiment profond et extatique d’amour qui vient avec l’ordination, et qui rend insipide tout autre amour. » L’Heure sainte sera le sujet fréquent de ses réflexions et de ses prédications, surtout lorsqu’il s’adressera aux prêtres. Il soutient qu’il est impossible au prêtre de donner le Christ aux autres, s’il ne passe pas un temps notable chaque jour en sa présence : « Ni les connaissances théologiques, ni l’action sociale, à elles seules, ne suffisent pour nous maintenir amoureux du Christ, si elles ne sont pas précédées par une rencontre personnelle avec Lui. » Car il s’agit d’amour, et l’amour exige de passer du temps avec l’être aimé : « Bien peu d’âmes méditent : soit le mot leur fait peur, soit elles n’en connaissent pas même l’existence. Dans l’ordre humain, une personne amoureuse a toujours au cœur la personne aimée, elle vit en présence de l’autre, se résout à faire la volonté de l’autre, et s’applique avec jalousie à ne pas se laisser dépasser, si peu que ce soit, dans le don de soi. Appliquez cela à l’âme amoureuse de Dieu, et vous aurez les rudiments de la méditation. »
À peine ordonné prêtre, Fulton s’inscrit à la Catholic University of America, à Washington, où il obtiendra ses grades en théologie et en droit canonique. Plutôt que de poursuivre ses études sur place, il demande à faire son doctorat dans une université européenne, et son choix s’arrête sur celle de Louvain (Belgique). Après le doctorat, en juillet 1925, Sheen obtient l’agrégation en philosophie dans la même université. Il est alors nommé vicaire dans une paroisse pauvre de son diocèse d’origine (Peoria). Après les études qu’il vient de faire, beaucoup sont surpris par cette nomination qui semble humiliante pour un prêtre si brillant. Mais lui accepte de bon gré ce ministère ; il se lance tout entier dans le soin pastoral des âmes, devient en peu de temps l’ami de tous et obtient de nombreuses conversions. Au bout de huit mois, l’évêque lui avoue : « Il y a trois ans, je vous avais promis à la Catholic University of America comme membre du corps professoral. Mais à cause de vos succès en Europe, je voulais savoir si vous demeureriez obéissant. Vous pouvez maintenant aller enseigner avec ma bénédiction. » L’abbé Sheen restera à Washington plus de vingt ans, apprécié des étudiants : « Durant ses cours, dira l’un d’eux, on n’aurait pas plus eu l’idée de lever la main que de dire au soleil de s’arrêter de briller un instant. Et on n’en avait pas envie, tellement c’était un professeur captivant. » Le jeune prêtre considère l’enseignement comme « l’une des plus nobles vocations sur terre, car en dernière analyse, le but de toute éducation est la connaissance et l’amour de la vérité ». Ses capacités intellectuelles ne l’empêcheront pas de rester toute sa vie très proche des simples fidèles. Faisant preuve d’une grande amabilité envers tous, il n’éblouit jamais par sa science ; il tâche plutôt d’apprendre toujours quelque chose de son interlocuteur. Dans son enseignement, il se place d’abord au niveau de ses étudiants pour les élever graduellement plus haut.
Ôter les masques
Son professorat à temps plein ne l’empêche pas d’accepter de nombreuses invitations à prêcher des retraites ou à donner des conférences. Il prépare ses interventions avec un grand soin, parlant toujours debout et sans notes ; il aime à dire qu’on n’allume pas de feu quand on est assis. Sa présentation claire et précise des vérités de la foi catholique est parsemée de plaisanteries qui maintiennent l’attention en éveil. Très vite, sa renommée s’étend au loin. La vraie foi est, à ses yeux, ce qui manque le plus cruellement au monde. Aussi n’hésite-t-il pas à rappeler avec assurance les grandes vérités de l’Évangile, dont la méditation suscite la conversion des âmes : la mort, le jugement, le ciel et aussi l’enfer. Pour lui, l’homme moderne veut l’impossible : une religion sans croix, un Christ sans calvaire, un royaume sans justice, et, dans son église, « un curé qui ne parle jamais de l’enfer ». Mais telle n’est pas la foi de l’Église. En effet, lors du jugement, rappelle-t-il, « chaque homme devra apprendre par lui-même que la porte est étroite et le chemin resserré qui mène à la Vie éternelle, et que peu trouvent cette porte… Là, tous les masques seront ôtés ; l’homme quittera le rang, loin de la foule, et la seule voix qu’il entendra sera la voix de sa conscience, qui le révélera tel qu’il est en réalité… Il n’y aura pas de stupéfiants pour l’aider à oublier ou pour le faire entrer dans l’irresponsabilité du sommeil ; pas de cocktails pour le rendre sourd à sa conscience ». Un demi-siècle plus tard, saint Jean-Paul II écrira de même : « L’Église ne peut omettre, sans une grave mutilation de son message essentiel, une catéchèse constante sur ce que le langage chrétien traditionnel désigne comme les quatre fins dernières de l’homme : la mort, le jugement (particulier et universel), l’enfer et le paradis… C’est seulement dans cette vision eschatologique que l’on peut avoir la mesure exacte du péché et se sentir poussé de façon décisive à la pénitence et à la réconciliation » (Exhortation Reconciliatio et Pœnitentia, 2 décembre 1984, n° 26).
À partir de 1928, la voix de l’abbé Sheen est retransmise régulièrement sur les ondes dans le programme “Catholic Hour”. Pendant plus de 20 ans, il s’efforce de présenter aux auditeurs, en termes simples, le contenu de la foi catholique qu’il défend contre les attaques modernes. Ces émissions lui occasionnent un courrier abondant ; beaucoup de correspondants envoient de l’argent, qu’il redistribue largement aux nécessiteux : « Dieu remplace en temps, en énergie ou en argent tout ce qui est donné », répond-il à ceux qui se plaignent de ses largesses. Sa notoriété le fait nommer, en 1934, chambellan papal avec le titre de “Monsignor”. En 1951, c’est la télévision qui l’invite à prêcher l’Évangile dans la série d’émissions “Life is Worth Living” (La vie vaut la peine d’être vécue). Cet apostolat se poursuivra sept ans.
Figure de proue
Au long de ces décennies, Mgr Sheen demeure une figure de proue de la lutte contre le communisme. Plutôt que de rendre les seuls révolutionnaires russes responsables du succès de cette idéologie, il n’hésite pas à l’attribuer à un Occident sécularisé qui a perdu la foi, source de sa grandeur : « Au fur et à mesure que l’Occident perd son christianisme, il perd sa supériorité. L’idéologie du communisme a surgi des restes sécularisés d’une civilisation occidentale dont l’âme était jadis chrétienne. » D’ailleurs, la décadence morale de l’Occident lui fait prévoir son effondrement certain s’il n’opère pas une sérieuse réforme. Citant l’historien Arnold Toynbee, Sheen souligne que « seize civilisations, parmi les dix-neuf qui se sont effondrées depuis le début de l’histoire, se sont décomposées de l’intérieur. »
La rédaction de ses livres ainsi que la soigneuse préparation de ses prédications, conférences et émissions télévisées, lui prennent un temps considérable ; malgré cela, il trouve le moyen de visiter les pauvres, les malades et les missions lointaines dans le tiers-monde, de répondre personnellement à des dizaines de milliers de lettres et d’instruire de très nombreuses personnes qui viennent ou reviennent à la foi. Il insiste sur le fait que la grâce de Dieu cherche une âme qui lui soit ouverte. Il aime à répéter que « le loquet se trouve de notre côté », car « Dieu ne défonce pas les portes : c’est nous qui lui barrons l’entrée ». Le phénomène moderne de l’athéisme est l’objet de ses réflexions : « Neuf fois sur dix, l’athéisme naît du sein d’une mauvaise conscience, affirme-t-il. L’incroyance naît du péché, non de la raison. » Et il conseille volontiers à ceux qui se trouvent dans cette situation : « Si vous voulez connaître Dieu, il n’y a qu’un moyen : mettez-vous à genoux… Si vous n’adorez pas Dieu, vous adorerez autre chose, et neuf fois sur dix, ce sera vous-même. » Il est impossible de compter le nombre de personnes qui se sont converties grâce à cet apôtre infatigable : « Je ne tiens jamais de registre des convertis, avoue-t-il, de peur de tomber dans l’erreur de penser que c’est moi qui les ai gagnés au Christ. Le Bon Dieu ne m’en donnerait pas d’autres. Il me punirait de mon orgueil… » Un homme qui se promène sous des pommiers aux fruits mûrs les cueille sans peine : de même, reconnaît-il, toute conversion est d’abord un don de Dieu, accordé à la prière, sans laquelle rien de bon ne peut se faire dans l’ordre de la grâce.
Où sont tes dieux ?
Dans les guerres qu’il a connues au cours de sa vie, Fulton voit le résultat d’une multitude de péchés. La violation de la loi morale entraîne, en effet, par elle-même de graves conséquences : c’est le péché qui amène le malheur. Face à ceux qui pointent le doigt vers Dieu pour Le rendre responsable du mal, il écrit : « De tels hommes pensent à Dieu uniquement lorsqu’ils cherchent un bouc émissaire pour leurs propres péchés. Sans jamais le dire, ils présument que l’homme est l’auteur de tout ce qui est bien et beau dans le monde, mais que Dieu est responsable du mal et des guerres… Ils ignorent que Dieu ressemble à un écrivain qui aurait composé une pièce de théâtre. Il l’a donnée aux hommes avec toutes les indications pour la jouer à la perfection, mais ils l’ont bâclée. » Face aux incroyants qui demandent, quand tout va mal : « Où est Dieu ? », il réplique : « Où sont tes dieux maintenant ? Où est ton “dieu Progrès” face à ces deux guerres mondiales en l’espace de vingt et un ans ? Où est ton “dieu Science”, à l’heure où l’on consacre ses énergies à la destruction ? Où est ton “dieu Évolution”, maintenant que le monde régresse et devient un immense abattoir ? »
Après avoir reçu la consécration épiscopale à Rome, le 11 juin 1951, Mgr Fulton Sheen est nommé évêque auxiliaire de New York. Il remplira ce ministère durant une quinzaine d’années tout en assurant la direction de la Society for the Propagation of the Faith, organisme chargé de coordonner l’aide aux missions de tous les diocèses américains, en lien avec le Saint-Siège. Dans ce rôle, il recueillera des sommes considérables pour les missions. Mais sa célébrité, d’une part, et l’argent qui passe entre ses mains, d’autre part, lui attirent jalousies et critiques. Une querelle avec un haut dignitaire ecclésiastique à propos d’un don gouvernemental en faveur des missions demeurera pour lui, pendant dix ans, une épine douloureuse. Paradoxalement, cette contradiction le fera progresser dans la nuit de la foi et découvrir la joie mystérieuse de souffrir avec le Sauveur : « S’il n’y a pas un Vendredi Saint dans notre vie, il n’y aura jamais de Dimanche de Pâques, écrit-il… Le fait de mourir à soi est le prélude essentiel à la vraie vie pour soi. » Lors d’un voyage en Terre Sainte et en d’autres lieux liés à l’histoire biblique, Mgr Sheen s’arrête à Éphèse, ville évangélisée par saint Paul, qui faillit y perdre la vie (cf. Actes 19). « Éphèse, dit le prélat, m’a appris que le fait de prêcher la Parole provoquera toujours l’antagonisme. Que ce soit contre le communisme ou contre l’avarice, que ce soit contre le divorce ou l’avortement, le prédicateur sera non seulement harcelé, mais aussi en butte à une révolte organisée. »
Mgr Sheen prend part à toutes les sessions du concile Vatican II : à plusieurs reprises, il intervient dans l’aula conciliaire. En 1966, il est nommé évêque de Rochester, charge qu’il remplira pendant trois années. En 1969, il prend officiellement sa retraite et reçoit à cette occasion le titre honorifique d’archevêque. Toutefois son activité ne diminue pas : prédications et conférences devant les auditoires les plus variés le conduisent à parcourir les États-Unis et l’Europe. Il trouve même la force d’entreprendre une nouvelle série télévisée intitulée “What Now, America ?” (Que faire maintenant, Amérique ?). Il veut mourir à la tâche ! Les années qui suivent le concile sont marquées par de grandes souffrances : tout en se réjouissant de certaines réformes, il est profondément affligé par le désordre qui semble régner dans l’Église : « Nous nous sommes éloignés de l’étendard du Christ pour aller vers celui du monde. Nous ne nous demandons pas, “cela plaît-il au Christ ?” mais “cela plaît-il au monde ?” Dans cette optique, je m’habillerai, pense-t-on, et j’agirai de manière à ne pas me séparer du monde ; je veux être avec lui. Nous nous marions avec ce monde, et nous devenons veufs du monde à venir. Nous adoptons son verbiage, ses modes. Voilà une des raisons de tant d’instabilité dans l’Église d’aujourd’hui : le sable sur lequel nous marchons est mouvant. Nous avons abandonné le roc qui est le Christ. »
Un judas
En 1976, l’archevêque émérite se rend à Rochester pour la dédicace des “Sheen Archives”, collection de ses écrits et enregistrements installée au séminaire diocésain. À cette occasion, il fait une confidence à ceux qui s’imaginent y trouver son “secret” : lors de ses voyages à Paris, il aime à visiter un ancien couvent de Carmes, transformé aujourd’hui en foyer pour étudiants. Dans ce bâtiment, « il y a une chambre que je visite toujours, dit-il. C’est au bout d’un corridor… Au-dessus du bureau il y a un judas. C’était la chambre du grand prédicateur Lacordaire : lorsqu’il était assis à ce bureau, il pouvait regarder à travers le judas. Et que voyait-il ? Il voyait le tabernacle, il voyait le Très Saint Sacrement ! Voilà ce qui a fait la grandeur de Lacordaire. Il n’y a pas d’explication complète de Fulton J. Sheen dans ces livres, dans ces bandes. Vous devez chercher un secret venant d’ailleurs, là où la science est convertie en sagesse, c’est-à-dire uniquement aux pieds du Christ et de son Saint-Sacrement. Par conséquent, que tous ceux qui entrent dans cette salle se souviennent de ce judas. Regardez à travers lui, et vous aurez alors l’explication de Fulton John Sheen ! »
À partir de 1977, sa santé commence à décliner. On l’opère à cœur ouvert, ce qui n’a encore jamais été tenté sur un homme de son âge. Dès que possible, un prêtre vient célébrer la Messe au pied de son lit. L’archevêque souffrant arrive à prononcer tout bas les paroles de la consécration, et, haletant, il donne une explication de la Messe à une des assistantes qui n’est pas catholique. Jusque dans cette extrémité, il prend au sérieux le mot de l’Apôtre saint Paul : Malheur à moi si je ne prêche pas l’Évangile (cf. 1 Co 9, 16). Un soir, alors qu’il est en soins intensifs et à peine conscient, il entend une infirmière parler d’un autre patient qui se meurt dans un lit voisin. Incapable de lever la main, Sheen lève le doigt et trace le signe de la croix vers le moribond, lui donnant ainsi l’absolution sous condition au seuil de l’éternité.
Sur le dos
En septembre 1978, il retourne à l’hôpital pour quatre mois. Il écrit à un cousin : « Je ne me plains pas de ma condition : je crois fermement que le Seigneur nous met souvent couchés sur le dos pour que nous regardions constamment vers le ciel. » Pendant ce séjour, il console et ramène à la foi un homme âgé, éloigné de l’Église depuis 45 ans et tenté de se suicider. Après plusieurs heures de conversation, Mgr Sheen le confesse, le réconcilie avec l’Église et lui donne la sainte Eucharistie. Cet événement est une immense consolation pour le vieil archevêque qui y voit un fruit de ses propres souffrances volontairement acceptées : « J’avais demandé au Seigneur de permettre que mes souffrances fassent du bien à une âme, et Il a exaucé ma prière. »
Inlassable, il reprend ensuite ses activités. En janvier 1979, il est invité au National Prayer Breakfast à Washington, en présence de Jimmy Carter, alors président des États-Unis. Le vénérable prélat commence ainsi son discours : « Monsieur le président, vous êtes un pécheur. » Après un moment de silence, il continue : « Je suis un pécheur. » Puis, promenant son regard sur les célébrités présentes : « Nous sommes tous pécheurs, et nous avons tous besoin de nous tourner vers Dieu. » Billy Graham, protestant évangélique, affirmera que ce fut l’un des sermons les plus éloquents et les plus stimulants qu’il ait jamais entendus.
Le Vendredi Saint suivant, très affaibli par ses grandes souffrances, Mgr Sheen monte pour la dernière fois dans la chaire de l’église Sainte-Agnès de New York, bien déterminé à faire une homélie, dût-elle lui coûter la vie. Il a toujours estimé que la chaire serait un bon endroit pour mourir. Pourtant les mois passent… Enfin, le 9 décembre 1979, Fulton Sheen obtient la grâce qu’il a souvent demandée : mourir devant le Saint-Sacrement. Peu de temps auparavant, il avait avoué son désir de partir : « Ce n’est pas que je n’aime pas la vie ; je l’aime en effet. Mais je veux voir le Seigneur. J’ai passé des heures devant Lui présent dans le Saint-Sacrement. Je Lui ai parlé dans la prière, et j’ai parlé de Lui à tous ceux qui voulaient m’entendre, et maintenant je veux Le voir face à face ! »
La cause de béatification de Mgr Fulton Scheen, ouverte en 2002, a abouti en 2012 à la déclaration de l’héroïcité de ses vertus ; il porte donc désormais le titre de “Vénérable”.
Tout en priant pour sa béatification, demandons-lui de partager avec nous son amour intense pour Jésus-Eucharistie et sa sollicitude pour la destinée éternelle des âmes.
Dom Antoine Marie osb, abbé
Abbaye Saint-Joseph de Clairval 21150 Flavigny-sur-Ozerain France |
Prions pour ce grand serviteur de Dieu !