À l’approche de Pâques 1290, une femme pauvre, dont nous ignorons le nom, met en gage des vêtements pour 30 sols parisis chez un homme résidant dans la rue des Jardins (quartier du Marais à Paris). Elle n’a de quoi les racheter. Elle supplie le prêteur sur gages de les lui prêter pour qu’elle soit correctement vêtue le jour de Pâques. Il accepte, mais à une condition : elle devra lui apporter une hostie consacrée après la messe pascale. Elle accepte. La femme se rend de bonne heure en l’église paroissiale de Saint-Merri. Elle fait semblant de communier mais conserve habilement l’hostie sous sa langue. Parvenue chez son prêteur, elle lui donne naïvement ce précieux sacrement. L’homme commence par percer l’hostie avec un couteau. Il n’en revient pas : du sang se met à jaillir ! Il appelle sa femme et ses deux enfants. Horrifiés par ce spectacle, ils lui disent d’arrêter immédiatement ce sacrilège. Mais pris d’une fureur subite, l’individu se met à poignarder de plus bel le Saint-Sacrement, dans lequel il enfonce un clou à coups de marteau. Des flots de sang coulent sur le sol et sur les mains du profanateur. Il veut la déchiqueter, en vain : elle reste entière. Il finit par la précipiter dans le feu de sa cheminée mais à cet instant, il s’arrête, interdit par ce qu’il voit : l’hostie, intacte, s’élève au-dessus des flammes et se met à virevolter dans la pièce. Hors de lui, l’homme réussit à s’en saisir et la jette dans un récipient rempli d’eau bouillante. Celle-ci devient rougeâtre. À cet instant, l’hostie jaillit du récipient et disparaît subitement, laissant place à une vision face à laquelle le profanateur manque de mourir : le Christ crucifié se tient à un mètre de lui ! Pendant ce temps-là, des fidèles se rendent à la messe de Pâques au couvent de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Sorti de la maison paternelle, le fils leur demande où ils vont. Ces derniers lui répondent qu’ils vont adorer Dieu. Paniqué, il leur explique que celui-ci est mort sous les coups de son père ! Ces propos attirent l’attention d’une voisine. Suspectant quelque chose d’inhabituel, elle entre dans la maison avec une écuelle en bois. Le spectacle qu’elle découvre la remplit d’effroi. Elle fait un signe de croix et l’hostie sainte, encore au-dessus de la chaudière, va doucement se déposer dans son écuelle. Aussitôt elle l’emmène dans l’église proche de Saint-Jean en Grève où le curé lui demande de l’accompagner chez l’évêque de Paris, Mgr Simon Matifas de Bucy. Une fois prévenu, le prélat alerte les autorités municipales pour arrêter l’homme. Au terme d’un long procès, ce dernier est condamné au bûcher sur la place de Grève pour acte sacrilège. Après son supplice, sa veuve et ses enfants sont conduits à l’évêché où Mgr Matifas, entouré des docteurs de l’Université, entendent leur abjuration. L’année suivante, le clergé parisien célèbre ce miracle le dimanche après Pâques, dans une solennité appelée « office de la Réparation ». Une bulle de Clément VI (1348) précise que cette cérémonie liturgique est organisée par les religieux des Billettes chaque jeudi, lors d’une messe du Saint-Sacrement. D’autres célébrations ont lieu dans l’église paroissiale de Saint-Jean en Grève à partir de 1326. En 1294, Reignier Flameng transforme la maison du miracle en chapelle. Le pape Boniface VIII consent à l’édification d’un nouveau lieu de culte desservi par un chapelain ; cet édifice sera détruit au XVIIIe siècle ; seul le petit cloître de 1408 reste visible aujourd’hui. En 1299, Guy de Joinville, frère de la Charité Notre-Dame, entre en possession des lieux. Vers 1350, tout le quartier appartient à ses frères en religion qui, en 1416, deviennent les « religieux des Billettes où Dieu fut bouilli ». Le canif, conservé dans un reliquaire de vermeil, et dont la lame est recouverte d’une pièce d’étoffe, ainsi que l’écuelle qui a servi à recueillir l’hostie profanée, sont exposés dans l’église des Billettes. En 1469, un orfèvre de Troyes réalise « un coffret d’argent destiné à contenir le canif qui avait percé le corps du Christ, et qui était porté aux processions de Saint-Jean en Grève ». Cette église devient vite un lieu de pèlerinage que Charles IV le Bel consent à agrandir par lettre patente en 1326. L’hostie miraculeuse est restée exposée pendant près de 400 ans dans la chapelle de l’abside, derrière le maître autel, avant de disparaître lors de la Révolution française. Au début du XVIIIe siècle, cette hostie est « enveloppée avec une partie de la robe de Notre-Seigneur, et on avait mis dans le même lieu un morceau de la vraie Croix ». Le 3 juin 1412, l’hostie est portée en procession pour supplier Dieu de guérir Charles VI de sa folie. Plus de 40 000 personnes, « tous nu-pieds et à jeun » y prennent part. D’autres processions ont lieu le 18 septembre 1415, le 3 juillet 1418, en 1444, le 29 janvier 1534, sur ordre de François Ier, puis encore en 1538, pour célébrer la trêve conclue entre le roi de France et l’empereur Charles-Quint. | |