Commentaire de M-Noëlle THABUT sur l'Evangile du 13 Mai 2018 tellement d'actualité :EVANGILE - selon Saint Jean 17, 11b - 19En ce temps-là,
les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi :
11 « Père saint,
garde mes disciples unis dans ton nom
le nom que tu m’as donné,
pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
12 Quand j’étais avec eux,
je les gardais unis dans ton nom,
le nom que tu m’as donné.
J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu,
sauf celui qui s’en va à sa perte
de sorte que l’Ecriture soit accomplie.
13 Et maintenant que je viens à toi,
je parle ainsi, dans le monde,
pour qu’ils aient en eux ma joie,
et qu’ils en soient comblés.
14 Moi, je leur ai donné ta parole,
et le monde les a pris en haine
parce qu’ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi je n’appartiens pas au monde.
15 Je ne prie pas pour que tu les retires du monde,
mais pour que tu les gardes du Mauvais.
16 Ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi, je n’appartiens pas au monde.
17 Sanctifie-les dans la vérité :
ta parole est vérité.
18 De même que tu m’as envoyé dans le monde,
moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
19 Et pour eux je me sanctifie moi-même,
afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. »
LE PROJET DE DIEU POUR L’HUMANITE
A la différence de Matthieu et de Luc, l’évangile de Jean ne rapporte pas le Notre Père, mais ce que nous lisons ici est tout-à-fait dans la même ambiance : « Père Saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage » fait écho à « Notre Père qui es aux cieux, que ton NOM soit sanctifié... » Et à la fin de ce texte, « Je ne te demande pas de les retirer du monde, mais que tu les gardes du Mauvais » fait écho à « Ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du Mal ». Quant à la phrase « Que ta volonté soit faite », elle n’est pas dite ici, mais Jésus n’a que cela en tête.
Au moment de quitter ses disciples, Jésus n’a qu’un souci, ou plutôt un souhait, l’accomplissement du projet de Dieu. Le projet de Dieu, c’est que le monde créé tout entier devienne lieu d’amour et de vérité : lente transformation, on pourrait dire germination, à laquelle tous les croyants sont invités à coopérer. Ainsi, les croyants ne quittent pas le monde, ils sont dans le monde, ils y travaillent de l’intérieur ; mais s’ils veulent le transformer, cela veut dire qu’ils savent en permanence rester libres, se maintenir à distance des conduites du monde qui ne sont pas conformes au mode de vie du royaume qu’ils veulent instaurer.
Mgr Coffy disait « les croyants ne vivent pas une autre vie que la vie ordinaire, mais ils vivent autrement la vie ordinaire. » Il ne s’agit donc pas de mépriser le monde, notre vie quotidienne, les gens que nous rencontrons, les soucis matériels, l’argent et toutes les réalités humaines ; il s’agit au contraire d’habiter ce monde pour le transformer de l’intérieur. Le Père Teilhard de Chardin disait « on ne convertit que ce qu’on aime. »
A l’heure où Jésus fait cette dernière grande prière, ce projet de Dieu est en train de franchir une étape décisive : lui, Jésus, sait bien que son destin est scellé ; curieusement, il ne prie pas pour lui-même, il prie pour ceux à qui il passe le relais. « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » Une seule chose compte, que le monde soit sauvé.
Saint Jean revient souvent sur ce thème dans son évangile : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 17) ; au moment de la guérison de l’aveugle-né, Jean fait remarquer que le nom de la piscine, Siloé, signifie « envoyé », manière de dire que Jésus est « envoyé » pour ouvrir les yeux des hommes.
C’est une constante dans toute l’histoire biblique : depuis Abraham, en passant par Moïse et par tous les prophètes, chaque fois qu’un homme ou un groupe (ou aussi bien le peuple d’Israël) est choisi par Dieu, ce n’est jamais pour son propre bénéfice solitaire, c’est toujours pour être envoyé en mission au service des autres. Et l’Eglise, à son tour, celle qui commence fragilement son existence le soir du Jeudi-Saint autour de Jésus, et tout autant celle d’aujourd’hui, n’a pas d’autre raison d’exister que sa mission dans le monde.
Dans cette grande prière de Jésus pour ses disciples, trois mots reviennent sans cesse, qui sont les trois maîtres-mots de notre mission désormais : fidélité, unité, vérité. Premièrement, la fidélité : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom tu m’as donné... Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné ». Cette fidélité, pour Jésus, consistait à être parmi les hommes le reflet fidèle du Père ; désormais, en l’absence de Jésus, ce sont les croyants qui sont appelés à être les fidèles reflets du Père.
NOTRE MISSION : REFLETS DU PERE
Deuxième maître-mot, « unité » : « garde-les... pour qu’ils soient UN comme nous-mêmes » ; et nous avons tous en tête, bien sûr, la phrase qui suit tout juste le texte d’aujourd’hui : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17, 21). Ce qui veut dire que l’unité n’est pas un but en soi ! Nous n’avons pas à la rechercher pour elle-même ; l’objectif, ce n’est pas l’unité d’abord, c’est que le monde croie. Nos divisions, nos querelles mangent nos énergies et sont un contre-témoignage scandaleux. Comment être témoins dans le monde de la Trinité d’amour si tous ceux qui invoquent la Trinité ne s’aiment pas entre eux ? En revanche, si l’objectif commun de tous les croyants était que le monde croie, cet objectif commun serait le meilleur chemin de notre unité. Rien de tel pour se découvrir frères que d’avoir un projet commun au service des autres.
Troisième maître-mot de la mission que nous confie Jésus, la « vérité ». « Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité ». Au début de l’histoire biblique, le mot « sanctifier » signifiait « mettre à part », retirer du monde ; désormais, avec l’incarnation du Christ, le mot « sanctifier » a changé de sens. Il signifie « participer à la sainteté de Dieu », et cela est accordé aux croyants, non pas pour qu’ils désertent le monde, mais pour qu’ils l’habitent à la manière de Dieu. Cette participation à la sainteté de Dieu est le fruit en nous de la Parole de vérité : nous ne croyons sûrement pas assez à l’efficacité de la Parole de Dieu, et, bien souvent, nous lui substituons nos propres paroles. Erreur : la parole de Dieu est Vérité, la nôtre n’est qu’approximation, balbutiement, (quand elle n’est pas défiguration) du Tout-Autre que nos pauvres mots ne peuvent pas dire.
Enfin, au centre de ce passage très solennel et si dense, Jésus parle de joie ! Au moment même où il prévoit les affrontements inévitables (les disciples seront persécutés comme le Maître), « Je leur ai fait don de ta Parole et le monde les a pris en haine », au moment d’affronter pour lui-même les heures terribles, il parle quand même de joie !
Il ose dire : « Maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. »